Orphée descendant aux Enfers - La Descente d'Orphée aux Enfers
Vox Luminis, A nocte temporis, dir. Reinoud van Mechelen et Lionel Meunier (2019).
Alpha classics 566 (1 CD). 1h22. Notice en français. Distr. Outhere.

 
Le couplage brille par son évidence mais exigeait que la technique permette de caser une heure vingt de musique en un seul CD : voici enfin rassemblées ces deux partitions si proches, dont l’une semble l’esquisse de l’autre. Orphée descendant aux Enfers (1684) est considéré comme la première cantate française : il s’agit essentiellement d’un monologue pour haute-contre (« Effroyables Enfers », relevé par un brillant violon), précédé d’un vaste prélude et suivi d’une scène en trio dans laquelle les damnés Ixion (taille) et Tantale (basse) mêlent leur voix à celle d’Orphée. On retrouvera ces mêmes damnés au second acte de La Descente d’Orphée aux Enfers (1687 ?), mini-opéra peut-être envisagé en trois actes (il n’en subsiste que deux), qui convoque onze rôles.

Nous avons déjà longuement parlé de cet ouvrage, dont trois enregistrements nous sont parvenus au cours des derniers mois. En quoi se distingue le nouveau ? Plus idiomatique que celui de la Camerata de Boston, moins théâtral que celui de l’ensemble Desmarest, plus monochrome que celui de l’ensemble Correspondance, il commence par décevoir, avec une ouverture fort lente et de premières scènes manquant de joie de vivre (il faut dire que la voix de Zsuzsi Toth, qui ouvre le bal en Daphné, est bien acide). L’élocution du chœur (composé de la dizaine de solistes) est moins claire que chez Daucé, mais la densité harmonique en est goûteuse. Les contrastes sont peu accusés, les coloris plutôt sombres, denses et mats. Mais, à mesure que le drame s’intensifie, l’interprétation gagne en force : le récit d’Eurydice (vibrante Déborah Cachet) émeut, tandis que la déploration d’Orphée et du chœur (« Ah ! Bergers, c’en est fait ») bouleverse, grâce à une intensification dynamique savamment ménagée. Il en ira de même aux Enfers, où les suppliques du chantre semblent d’abord timides (Auvity et Sheehan y mettaient plus de métal), avant de nous toucher autant que l’implacable Pluton de Geoffroy Buffière - soudain accompagné par l’orgue, alors que seul le clavecin avait jusqu’ici été entendu. Cet art de la demi-teinte répond au style du protagoniste, un Reinoud van Mechelen plus suave et velouté que jamais : réjouissons-nous qu’il ait gravé aujourd’hui l’Orphée de 1684, à la tessiture très aiguë - dont le contre-ténor Henri Ledroit donnait, en 1987, une jolie version -, car l’évolution de sa voix et de sa carrière le lui interdira peut-être à l’avenir (Mechelen vient d’incarner Nadir des Pêcheurs de perles à Toulon). L’ouverture de cette cantate, où flûtes, violes et violons se fondent jusqu’à mimer la voix humaine, et le trio final, où les timbres de Lionel Meunier et Philippe Froeliger épousent parfaitement celui de Mechelen, donnent le ton de cette interprétation aux couleurs tamisées. Un regret, cependant : en dépit de la diction superlative de Mechelen, il est difficile de prendre au sérieux le français « à l’ancienne » (« Rendé moué »)…

Olivier Rouvière