Gábor Bretz (Don Quichotte), David Stout (Sancho), Anna Goryachova (Dulcinée), Léonie Renaud (Pedro), Vera Maria Bitter (Garcias), Paul Schweinester (Rodriguez), Patrik Reiter (Juan), Elie Chapus (Le Chef des bandits), Felix Defèr (Un Homme). Chœur philharmonique de Prague, Orchestre symphonique de Vienne, dir. Daniel Cohen (Festival de Bregenz, 2019). Mise en scène : Mariame Clément.
Unitel/C Major CM754008. Présentation trilingue (angl., all., fr.). Distr. DistrArt Musique.

 

Un premier acte délibérément carton-pâte, pour nous rappeler les productions du passé. Un deuxième dans une salle de bains, dont le ventilateur deviendra moulin à vent, avec un Quichotte plus jeune et plus séduisant. Un troisième dans la rue où, habillé en Spiderman, il se fait agresser par des voyous. Un quatrième dans l’entreprise visiblement dirigée par Dulcinée, dont il n’est qu’un employé grisâtre. Le cinquième dans une forêt de bande dessinée. La comédie héroïque de Massenet revue par Mariame Clément, c’est cinq opéras en un, de l’historicisme traditionnel à la mise à jour contemporaine, avec autant de visages possibles du héros. Avant le lever du rideau, une publicité Gillette nous explique que les hommes de demain, à l’heure de #Me Too, ne seront plus les mêmes. Un faux spectateur apostrophe les autres dans la salle, où Don Quichotte quitte sa place pour aller jouer son rôle. La fin est regardée, comme un film, par une Dulcinée peu intéressée. Jouant donc beaucoup sur la mise en abyme, la production est bien faite, mais sans la poésie mélancolique de l’œuvre, et ses effets sentent aujourd’hui le déjà-vu, voire, au-delà des apparences, la facilité – Dulcinée moustachue au quatrième acte…

L’interprétation musicale ne rehausse malheureusement pas le propos. Belle direction, pourtant, du jeune Daniel Cohen, sans pathos, ancrant Massenet dans la modernité qu’on lui a souvent refusée. Belles voix aussi du maître et du valet – le timbre d’Anna Goryachova manque un peu de rondeur. Mais ces excellents chanteurs ont le français si exotique qu’il faut beaucoup d’abnégation pour aller jusqu’au bout – cela invalidait, de même, la production de Plamen Kartaloff à Sofia. Quand on ignore la prosodie française, on ne chante pas Massenet, on le massacre. Souvenons-nous du Jochanaan salzbourgeois de Gábor Bretz et oublions vite son chevalier de la longue figure. David Stout passerait un peu mieux en Sancho. Quant à Anna Goryachova, attendons-la dans un autre répertoire. Pour voir Don Quichotte, retournons à la production de Laurent Pelly et aux adieux à la scène de José van Dam : voix très crépusculaire, mais leçon de style français.



Didier van Moere