Au centre : Clare Halse (Sarah Brown), Matthew Goodgame (Sky Masterson), Ria Jones (Adélaïde) et Christopher Howell (Nathan Detroit).


Avec Guys and Dolls, cet « instant classic » qui fit un triomphe à Broadway en 1950-51 puis au cinéma en 1955 et dont le Théâtre Marigny offre rien moins que la première parisienne, Jean-Luc Choplin retrouve – mieux qu’avec le récent Peau d’âne – la voie des grands classiques du musical qui firent le succès de ses années à la tête du Châtelet.

Inspiré de nouvelles de Damon Runyon, le livret de Jo Swerling et Abe Burrows tricote une intrigue farfelue qu’il situe principalement dans la rue new-yorkaise et le milieu des joueurs de craps, joyeusement opposé aux militants pudibonds d’une Armée du salut locale. Evidemment, Sky Masterson, le plus flamboyant (et flambant) des joueurs finira dans les bras de Sarah Brown, la jolie responsable de la section, tandis qu’un autre couple (Nathan Detroit, l’organisateur des parties de craps, et son éternelle fiancée Adélaïde) se mariera après moult atermoiements. Dans ce quatuor d’amants (deux romantiques, deux drolatiques), on reconnaîtra au passage le canevas – éternel lui aussi – du répertoire léger, qu’il aille de la commedia dell’arte au musical en passant par la farce buffa rossinienne. Comme la musique de Frank Loesser (qui signe aussi les lyrics), les dialogues ancrent l’action dans une langue argotique poivrée et une vitalité très jazz, tantôt bondissante, tantôt exotique (le tableau à La Havane et son mambo enfiévré).

La production du Théâtre Marigny lui rend justice, à commencer par la scénographie judicieuse de Peter McKintosh (costumes vintage aux couleurs intenses, décors épurés où une multitude de cadres lumineux suffit à évoquer la nuit new-yorkaise) et le travail de Stephen Mear (mise en scène efficace et bien réglée, chorégraphies souples et swing) qui parviennent tous deux à créer une réminiscence à plusieurs facettes, croisant souvenirs de la Prohibition, des revues de Broadway et du technicolor de Hollywood. Quant aux artistes réunis, tous spécialistes du musical et évidemment anglophones, ils savent rythmer dialogues, musique et humour avec cette petite dose de permanent sur-jeu cabotiné propre au genre et d’autant plus appuyé par la désormais (et hélas) incontournable sonorisation. Outre des petits rôles tous bien tenus, les guys sont impeccables – mentions spéciales à Joel Montague (qui dessine avec raffinement le « Sit Down, You’re Rocking the Boat » de Nicely-Nicely Johnson), Christopher Howell (Nathan attachant et dépassé) et Matthew Goodgame (parfait baryton-bellâtre en Sky Masterson). C’est côté dolls que le bât blesse un peu. Malgré son abattage qui lui vaut un triomphe aux saluts, on s’avouera cette fois rétif à la belting voice stridente de Ria Jones : l’artiste sait certes parfaitement en jouer, dans un second degré qui pourrait être jouissif s’il n’épuisait nos tympans ; mais cette Adélaïde criaillante et assumée en mémère sexy est tout de même bien loin du personnage créé Vivian Blaine, bimbo gentiment écervelée dont le chant pointu servait le charme au lieu de se dresser en arme de guerre. Cette « exaspération vocale » paraît même toucher Clare Halse (Sarah), dont on regrette qu’elle n’ait plus ici les délicatesses touchantes qu’on avait connues à sa Kathy Selden (Singin’ in the Rain, 2015) et se laisse aller aussi à forcer le trait parlé et même quelques attaques chantées assez durcies – heureusement son « If I Were a Bell », à La Havane, est un plaisir. En fosse, l’ensemble orchestral placé sous la direction de James McKeon ne démérite pas, mais on regrette une orchestration épaisse et une section rythmique à la main un peu lourde.

À ces réserves près, on recommandera ces Guys and Dolls, ne serait-ce que pour découvrir en scène une partition que le film de Mankiewicz (1955) ne servait que partiellement.

C. Cazaux

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Joel Montague (Nicely-Nicely Johnson)