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Il y avait au moins deux bonnes raisons de faire le déplacement à Nancy pour cette Sémiramis. La première est que l'opéra de Rossini, s'il est désormais moins rare qu'il n'a été, n'est pas encore tout à fait une pièce de répertoire – et l'on comprend bien, à l'entendre, quelles en sont les raisons. La seconde découle de la première : la distribution réunie par l'Opéra national de Lorraine suscitait une forte curiosité et une grande attente et, disons-le, elles n'ont pas été déçues.

Franco Fagioli est sûrement le premier contre-ténor à oser s'affronter à Arsace, l’un des rôles les plus redoutables, en termes de tessiture comme de virtuosité, qu'ait écrits Rossini pour une mezzo-contralto. Son usage de la voix de poitrine, au registre quasi barytonnant, sa maîtrise des écarts et de la colorature, sa projection dans l'aigu y réussissent plutôt bien, surtout dans les aspects héroïques du rôle. Pourtant, sa grande scène avec chœur du deuxième acte (« In si barbara sciagura ») dépasse quelque peu ses capacités de résistance et le trouve un rien à court de ressources en termes de projection. Mais ce n'est pas seulement dans la bravoure que les limites se font sentir, c'est aussi dans la musicalité. Il manque à cette voix « artificielle » quelques harmoniques pour se fondre avec celle de la soprano et offrir à l'auditeur, dans leurs deux duos, cet hédonisme sonore qui est également l’un des atouts de la partition. Salomé Jicia, que nous avions découverte cet été à Pesaro dans la Donna del lago – bien chantante mais un peu écrasée par ses deux partenaires Juan Diego Flórez et Michael Spyres –, comble ici toutes les attentes du rôle-titre dont elle possède le format exact tant en termes de tessiture que de couleur et de technique. Elle communique toute l'autorité voulue à son personnage mais aussi son angoisse sous-jacente et, à quelques baisses de régime près, dues à la longueur du rôle, elle se révèle l’une des meilleures titulaires entendues depuis longtemps. En Assur, Nahuel di Pierro laisse une impression mitigée. D'évidence, cette tessiture de baryton-basse (ou plutôt de basse chantante) lui convient à la perfection, mais il manque au chanteur une véritable maîtrise de la vocalise pour lui donner tout le relief voulu. S'il réussit plutôt bien sa grande scène de folie du deuxième acte, il semble peiner dans les moments de pure virtuosité et se laisse souvent aller à des effets expressionnistes qui ôtent au personnage sa noblesse. Un peu sacrifié par la mise en scène qui en fait une sorte de fantoche tout droit sorti de la tragédie lyrique du XVIIe siècle, tandis que l'édition, pourtant quasiment complète par ailleurs, ne lui offre que son air du IIe acte, Matthew Grills se révèle un Idreno brillant, à la voix haut placée et au style impeccable. Cumulant les deux rôles d'Oroe et de l'Ombre de Ninus, Fabrizio Beggi s'impose par la puissance de sa splendide voix de basse et l'autorité que confère à ses interventions sa diction italienne superlative.

La direction très équilibrée de Domingo Hindoyan porte avec élégance et fermeté ce plateau d'excellent niveau à la tête d'un impeccable Orchestre symphonique et lyrique de Nancy auquel les chœurs réunis de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole et de l’Opéra national de Nancy apportent une contribution de très haut niveau.

Est-ce un clin d'œil à la production de Silvio Purcarete de l'Artaserse de Vinci, monté ici même en 2012, déjà avec Franco Faggioli ? A-t-elle voulu faire allusion à la tragédie de Voltaire dont est issu le livret ou référence à la situation historique de l'œuvre de Rossini qu'elle considère comme une ultime expression de l'opéra baroque ? La metteure en scène Nicola Raab choisit de transposer l'opéra dans l'esthétique du XVIIIe siècle et joue la carte du théâtre dans le théâtre, sans que le but recherché par ces effets de second degré soit vraiment explicite. Si visuellement le résultat n'est pas désagréable, le jeu constant avec les changements à vue de décors ou de costumes n'apporte pas grand-chose quant au sens même de l'œuvre. Il aurait même parfois tendance à parasiter l'attention du spectateur. Fort heureusement, le deuxième acte, tout en figurant toujours un théâtre en train de se faire, renonce un peu à la plupart de ses gadgets pour se concentrer sur les situations elles-mêmes et sur la performance des chanteurs.

Au final, le résultat est un spectacle de belle tenue qui offre vraiment de grands moments de chant et quelques très belles images, comme ce miroir sans tain descendant régulièrement des cintres tel le symbole de l'introspection des personnages en quête de vérité et que finit par traverser Assur, juste avant le terrible dénouement.

A.C.

Notre édition de Sémiramis : L'Avant-Scène Opéra n° 184.


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Photos : Opéra national de Lorraine.