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C’est toujours avec plaisir et curiosité que l’on retrouve la compagnie des Frivolités Parisiennes qui, depuis 2012, œuvre à la redécouverte du répertoire d’opéra-comique, d’opéra-bouffe et d’opérette du XIXe siècle. Auber, Halévy, Massenet, Adam lui doivent déjà des résurrections passionnantes et tout amateur de théâtre musical ne peut que lui être reconnaissant des efforts entrepris pour montrer – souvent avec panache – que ce répertoire, à rebours des idées reçues, a de quoi séduire un large public.

Cette fois-ci, c’est chez Charles Lecocq (1832-1918) que les Frivolités Parisiennes sont allées puiser. On sait que le grand rival d’Offenbach a connu dans les années 1870 un immense succès, inauguré par le triomphe de La Fille de madame Angot (1872), grâce à sa capacité à concevoir des œuvres plus sages et plus « bourgeoises » qui répondaient au nouvel état d’esprit né de la défaite de 1870-1871. Lecocq règne alors sur le Théâtre de la Renaissance, ouvert en 1873 et dont les directeurs successifs, les très habiles Hippolyte Hostein et Victor Koning, parviennent très vite à faire l’une des principales scènes d’opérette de Paris. C’est dans cette salle qu’est créé Le Petit Duc, opéra-comique en trois actes de Meilhac et Halévy, le 25 janvier 1878. L’ouvrage est parfaitement en phase avec l’époque, comme on pouvait s’y attendre de la part d’aussi fins librettistes : située à la fin du règne de Louis XIV, l’action met en scène une armée française menant une victorieuse « guerre en dentelles », bien propre à faire oublier la dernière guerre ; en narrant l’éveil à l’amour du jeune duc Raoul de Parthenay et de sa toute aussi jeune épouse Blanche de Cambry, la pièce repose en outre sur un érotisme subtil que vient renforcer le fait que le rôle-titre est joué en travesti par Jeanne Granier. S’inscrivant nettement dans la lignée de l’opérette, Le Petit Duc réserve la bouffonnerie aux personnages secondaires, principalement le précepteur Frimousse (qui donne une image peu flatteuse du corps enseignant !), le fringant militaire Montlandry et la directrice du pensionnat Diane de Château-Lansac, une maîtresse-femme. Représenté plus de trois cents fois d’affilée à sa création, l’ouvrage se maintient très longtemps à l’affiche et, en 1926, l’abbé Bethléem peut encore écrire qu’« il n’a pas pris une ride. Il a fait le tour de France et le tour de l’Europe et il n’a pas vieilli. Les amateurs de musique pimpante et bien française, les friands de vaudevilles à couplets [le] revoient toujours sans se lasser ».

Pas repris à Paris depuis le milieu du XXe siècle, délaissé depuis par les scènes de province, Le Petit Duc n’attendait que les Frivolités Parisiennes pour retrouver tout son lustre. Hélas, le spectacle présenté le 19 février au Trianon est une déception. La faute en incombe grandement à Edouard Signolet, le metteur en scène, qui a traité Raoul et Blanche comme, selon ses propres mots, « des Roméo et Juliette version bouffe ». Blanche, tout particulièrement, est une caricature et on plaint Marion Tassou, par ailleurs bonne chanteuse, de devoir l’interpréter de façon aussi outrée. Le marivaudage grivois des deux héros ayant ainsi été gommé, la bouffonnerie des seconds rôles tombe quelque peu à plat. A cette première erreur, lourde de conséquences, s’ajoute le mauvais effet produit par la scénographie. On ne fera certes pas grief aux Frivolités Parisiennes de manquer de moyens et de ne pouvoir se payer des décors. Mais l’argent mis pour acheter les quelques cubes censés évoquer un « univers d’enfance et de jeu » aurait été bien mieux utilisé s’il avait servi à installer une ambiance « Ancien Régime » consubstantielle à l’œuvre. Les costumes, d’inspiration vaguement Empire, n’arrangent rien : on leur pardonnerait presque le contresens historique qui les sous-tend s’ils n’étaient malheureusement laids, enlevant toute grâce aux personnages. Visuellement et scéniquement, ce Petit Duc est bien en dessous de ce à quoi nous ont habitué les Frivolités Parisiennes.

Fort heureusement, le spectacle est nettement plus réussi musicalement. Sous la baguette de Nicolas Simon, l’orchestre des Frivolités Parisiennes fait honneur à la partition de Charles Lecocq qui, si elle est particulièrement soignée (avec notamment la volonté de pasticher la musique d’Ancien Régime au premier acte), n’en comporte pour autant guère de morceaux saillants. La distribution est de qualité. Dans le rôle du Petit Duc, Sandrine Buendia ne démérite pas, même si une véritable direction d’acteurs lui aurait permis de mieux comprendre son rôle et d’en exploiter mieux les ressources (à cet égard, il est dommage que le « rondeau de la paysanne », qui devrait produire tant d’effet, passe ici relativement inaperçu). Parmi les seconds rôles, Jean-Baptiste Dumora s’impose par sa présence scénique et son talent musical tandis que Rémy Poulakis est un Frimousse un peu effacé alors que le rôle aurait dû lui permettre de brûler les planches. Jouant en travesti le rôle de Diane de Château-Lansac – ce qui n’était pas prévu par Lecocq –, Mathieu Dubroca a la finesse de ne pas forcer la caricature. Au bout du compte, la production donnée au Trianon ne plaide guère pour que Le Petit Duc réintègre le répertoire courant de nos scènes lyriques. Attendons donc une reprise dans de meilleures conditions pour mieux apprécier l’œuvre et gageons que la compagnie des Frivolités Parisiennes saura rapidement prendre sa revanche.

J.-C.Y.


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Photos : Marie-Louise Le Goff - www.1001images.fr.