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Piotr Beczala (Faust).

« Rien », le premier mot du livret résume si nettement ce qu’inspire cette production de Faust annoncée comme « nouvelle » qu’on est presque contraint à ce clin d’œil cruel. À sa décharge, il faut rappeler qu’elle est le fruit des circonstances. En 2011, pour succéder à la mise en scène de Jorge Lavelli qui, après avoir fait scandale en 1975, semblait ancrée au répertoire, Nicolas Joël avait fait appel à l’intelligence caustique de Jean-Louis Martinoty. Ce dernier s’étant fourvoyé dans des excès gratuits, un autre metteur en scène s’est vu, par exception, chargé de prendre un parti différent dans les mêmes décors. Un parti plus convenu, sans doute. Ainsi l’aura compris Jean-Romain Vesperini si l’on en juge par ce qu’il a fait, proche du tout-venant des scènes secondaires au siècle dernier.

À un détail près, gardé pour la fin : le départ de Marguerite en compagnie de Méphistophélès, attestant de ses origines diaboliques, tandis que Faust descend sous la scène d’où il remontera abruti par l’opium et entouré des cadavres d’autres Marguerites. Cette dernière scène amène à s’interroger rétrospectivement sur ce qu’on avait pris pour une plate fidélité au livret : les maladresses de la direction d’acteurs ne seraient pas dues à l’incurie du metteur en scène ou à l’inertie des chanteurs mais à une volonté délibérée de plomber le spectacle ou de le pervertir. Ainsi est-ce peut-être à dessein que la rencontre de Faust et de Marguerite, moment de gravité et d’émotion, aura déclenché des rires dans la salle. Car l’héroïne, aussi mal fagotée que possible et traversant la scène sans grâce, n’avait rien qui puisse attirer le regard. Au tableau suivant, la pétillante élégance de Dame Marthe fera ressortir la gaucherie lourde de Marguerite. Que penser du meurtre de Valentin entravé par Méphisto pour que Faust lui plante bêtement son poignard dans le cœur ? Que conclure de la scène de l’église où le Démon, déguisé en prêtre, menace Marguerite en craignant ses prières ? On cherche en vain à citer un moment de quelque importance où le jeu scénique, en phase avec la puissance des mots et avec le rythme de la partition, offre ce qu’on attend légitimement d’un spectacle lyrique.

Reste la partie musicale qui se signale d’abord par la qualité des seconds rôles : Doris Lamprecht dont l’élégance vocale transfigure Dame Marthe, le Siebel sensible et vif-argent d’Anaïk Morel et le solide Wagner de Damien Pass. En comparaison, le Méphistophélès d’Ildar Abdrazakov manque de mordant et d’un grave saillant. Piotr Beczala (Faust), malgré quelques disparates entre les registres, est plus éloquent ; fougueux de tempérament, il fait preuve d’intelligence dans le choix des couleurs, mais reste trop souvent ténor, à la surface du personnage. Jean-François Lapointe (Valentin) dont l’air de bravoure a été justement applaudi, aurait pu l’être aussi après sa mort. Le cas de Krassimira Stoyanova (Marguerite) est plus délicat car elle se révèle, selon les registres d’expression, attachante et déconcertante, sublime ou neutre. En outre on la comprend mal, à la différence de ses partenaires qui soignent leur diction. Enfin, elle prend parfois avec le rythme des licences expressives qui seraient légitimes si l’orchestre s’y accordait. Mais Michel Plasson, moins à l’écoute que naguère, entraîne plus qu’il ne dirige ; de là des attaques imprécises, des flottements surprenants de la part des bois et des cuivres, détails que fait oublier la prestation d’une haute tenue des musiciens de l’Opéra qui ne laissent rien ignorer des finesses de la partition.

En conclusion ? Dans cette salle trop vaste pour en préserver l’intimité, ce Faust a vocation à devenir un spectacle postprandial à l’usage des familles et des touristes. Il y aurait tout de même mieux à faire, mais l’ouvrage en a vu d’autres et n’y perdra pas ses plumes. Une rayure sur l’aile, juste un petit rien.

G.C.

Voir notre édition de Faust : L’Avant-Scène Opéra n° 231.


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Vue d'ensemble. Photos : Vincent Pontet / OnP.