OEP253_1.jpg
Kristina Opolais (Jenufa) et Michaela Martens (la Sacristine). Photo Monika Rittershaus.


Sacré Dmitri Tcherniakov ! Celui qui s’est imposé en peu d’années comme l’un des trois ou quatre metteurs en scène qui comptent à l’opéra aujourd’hui, vient à nouveau de frapper un grand coup. Cette première de Jenufa était d’autant plus attendue qu’elle marquait le début du mandat d’Andreas Homoki comme successeur d’Alexander Pereira à la direction de l’Opéra de Zurich. Une première première est toujours un signal fort pour un nouveau directeur : si le recrutement de Tcherniakov indique la volonté de refaire de Zurich une plaque tournante de la modernité, on ne peut qu’applaudir ! L’Europe lyrique avait fait en masse le déplacement à Zurich, pour être une fois de plus estomaqué par l’art du metteur en scène russe. Et pourtant, cela ne va pas de soi. Une fois de plus, on accueille le spectacle avec un mélange de réserve et de scepticisme, et ce n’est qu’en y repensant après qu’il prend toute sa force et sa cohérence. N’arrivant pas à chasser les images de son esprit, on est alors pleinement convaincu. Car Tcherniakov intervient radicalement : comme dans son Wozzeck de Moscou, nous sommes dans une maison de trois étages vue en coupe (formidable machinerie qui permet de voir la Sacristine cacher le bébé au grenier pendant que Jenufa erre à l’étage en dessous). L’appartement est très bourgeoisie années 70, plus de village morave, plus de différences sociales non plus entre paysans et propriétaires, plus de société archaïque où il est interdit d’être fille-mère. Tcherniakov élimine les codes sociaux pour mettre les âmes à nu : éminemment discutable, formidablement réalisé. Et comme souvent il change la fin : Jenufa reconduit Laca à la porte qu’elle referme derrière lui au lieu de repartir main dans la main, et loin de pardonner à la Sacristine, elle la rejette avec tout le mépris du monde. Puis les trois femmes, grand-mère, belle-mère, petite-fille, se retrouvent seules dans leur monde de femmes qui se tiennent par des secrets de famille étouffants. Trahison ? Avouons que cette fin est nettement plus crédible que le happy end qui nous a toujours paru un peu forcé après tous ces déchaînements de haine.

Kristina Opolais réalise, comme dans Rusalka à Munich, une incarnation saisissante, que son timbre anonyme ne relaie pas toujours par la présence vocale. Michaela Martens au contraire possède une voix riche et puissante qui lui permet de composer une Sacristine jeune et blessée, au jeu sincère quoique encore maladroit. Christopher Ventris est un Laca à l’engagement palpable, Pavol Breslik un Steva séduisant sans caricature. Tout cela aurait fait une immense soirée lyrique si l’orchestre, principal vecteur de l’émotion et du drame chez Janacek, avait été plus éloquent : las, si Andreas Homoki sait choisir ses metteurs en scène, il a pris une décision moins heureuse en nommant comme directeur musical Fabio Luisi. Savoir comment le chef italien, avec aussi peu de talent, peut ainsi accumuler les postes les plus prestigieux, reste un mystère : dès l’inaudible xylophone initial, il est passé complètement à côté de la violence expressive de la musique de Janacek.

C.M.

Lire notre édition de Jenufa, ASO n° 102


OEP253_2.jpg
Kristina Opolais (Jenufa). Photo Monika Rittershaus.