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Audrey Luna (Ariel).


Avec son concert inaugural consacré à Mozart et la première de sa production de The Tempest de Thomas Adès, le Festival d'opéra de Québec atteint d'ores et déjà à un niveau digne des plus grandes manifestations lyriques internationales et confirme amplement les espoirs que la première édition de l'an dernier avait suscités.

Le Festival a commencé le mercredi 25 juillet dans la merveilleuse salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm, dont la jauge (tout près de mille places) et l'acoustique sont parfaites pour Mozart. Le concert – enregistré par la firme ATMA classique – réunissait la soprano Karina Gauvin, le pianiste Benedetto Lupo, les Violons du Roy et leur chef Bernard Labadie dans un généreux programme comprenant deux ouvertures (Lucio Silla et La Clémence de Titus), cinq airs d'opéras, deux airs de concert, le Rondo en ré majeur pour piano et orchestre et la chaconne d'Idoménée. Tout au long de la soirée, Labadie et son orchestre prouvent leurs profondes affinités avec le répertoire mozartien grâce à leur sens de l'équilibre et un évident plaisir de jouer ensemble. Très en voix, Karina Gauvin vit avec intensité chacun des extraits qu'elle interprète, en particulier l'air de Pamina, d'une sensibilité bouleversante. Remarquable technicienne, elle se joue des passages virtuoses comme ceux de « Come scoglio » et de « Non più di fiori » et fait entendre une voix homogène que seules quelques notes exposées dans le registre aigu mettent en relative difficulté. Invité de grand luxe, Benedetto Lupo s'est montré superbe dans « Non temer, amato bene » et brillantissime dans le Rondo.

Le grand événement du Festival est sans conteste la nouvelle création très médiatisée de l'enfant chéri de Québec, Robert Lepage, qui a conçu une de ses mises en scène d'opéra les plus envoûtantes depuis Le Château de Barbe-Bleue et Le Rossignol et autres fables. Coproduit par le Festival d'opéra de Québec, le Met et l'Opéra de Vienne, son travail sur The Tempest de Thomas Adès est tout simplement stupéfiant d'ingéniosité, de beauté visuelle et d'impact dramatique. L'idée de situer l'action à l'intérieur d'un théâtre, La Scala en l'occurrence, n'est certes pas nouvelle et a été maintes fois reprise par Robert Carsen (on pense entre autres à ses Contes d'Hoffmann ou à son récent Don Giovanni), mais la magie de Lepage confère tout son sens à ce choix. D'entrée de jeu, la tempête du premier acte est une illustration grandiose du savoir-faire de Lepage : agrippé au lustre qui tournoie follement au-dessus d'une mer agitée (un grand voile à travers lequel apparaissent brièvement les principaux personnages), Ariel déchaîne les éléments en un saisissant tableau à la fois terriblement violent et d'une poésie extraordinaire. Le premier acte se déroule sur la scène, face à la salle vidée de ses spectateurs, qui composeront plus tard les membres de la cour ayant échoué sur l'île de Prospero. Prospero devient ici l'ordonnateur génial d'effets de mise en scène tous plus impressionnants les uns que les autres. La loge royale sert en outre à rappeler quelques-uns des épisodes ayant mené autrefois Antonio à déposséder Prospero de son duché de Milan. Le deuxième acte a toujours lieu sur scène, cette fois dos à la salle, et les rescapés du naufrage se croient transportés sur une île grâce à des toiles peintes et des projections d'un effet très réussi. Enfin, le dernier acte se passe d'abord dans les coulisses puis, après un changement à vue extrêmement spectaculaire, dans la salle, la scène se situant du côté jardin. Après avoir erré dans les différentes parties du théâtre, les spectateurs retrouvent leurs places habituelles dans les loges, symbole éloquent du retour à l'ordre. Après le départ de tous les personnages, Caliban reste seul sur scène, en équilibre précaire sur la balustrade séparant la salle et la scène.

À cette mise en scène prodigieuse, dont les lignes précédentes n'offrent qu'un pâle reflet, s'ajoutent également un immense bonheur musical. La présence de Thomas Adès à la tête d'un Orchestre symphonique de Québec en très grande forme est un autre motif de réjouissance. Chef à la gestuelle ample et précise, très soucieux des chanteurs, Adès prouve combien il est un grand, et un coloriste exceptionnel. Perfectionniste à l'extrême, il a même retouché certains détails de sa partition en vue de ces représentations.

Dans le rôle d'Ariel, Audrey Luna est la révélation du spectacle ; non seulement elle surpasse en aisance vocale la performance de la créatrice (Cyndia Sieden, à Covent Garden en 2004), mais elle accomplit sur scène de véritables prouesses dignes d'une athlète. C'est elle que le public pourra découvrir lors de la diffusion du Met au cinéma le 10 novembre prochain. Légère déception du côté de Rod Gilfry, qui met du temps avant de s'imposer en Prospero et dont les nombreux passages mezza voce le trouvent à la peine. Mais quelle autorité scénique et comme il se rattrape bien dans les deux derniers tiers de la soirée ! Il est impossible toutefois de ne pas préférer Simon Keenlyside, qui reprendra son rôle à New York. Frédéric Antoun est un Caliban exceptionnel de tenue vocale et très doué pour le jeu, tout comme Julie Boulianne, Miranda magnifique à tout point de vue. Gregory Schmidt (le roi de Naples), Roger Honeywell (Antonio) et Gregory Dahl (Sebastian) sont tous excellents, de même que le vétéran Joseph Rouleau qui, à 83 ans, campe un Gonzalo à la voix encore étonnante. S'il ne démérite aucunement, Antonio Figueroa manque de puissance pour rendre pleinement justice à son rôle de Ferdinand. Très bonne interprétation de Kevin Burdette (Stefano), Daniel Taylor (Trinculo) et du chœur, qui maîtrise fort bien l'écriture d'Adès. Nul doute que les publics new-yorkais et viennois sauront goûter ce spectacle auquel les Québécois ont réservé un accueil triomphal.

 L.B.

Lire aussi notre édition de The Tempest : ASO n° 222.


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Décor du premier acte. Photos Louise Leblanc.