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Bien sûr, André Lischke a raison de souligner, dans le programme de salle, que la réputation de « premier opéra (en) russe » traînée par Une vie pour le tsar est légèrement usurpée (au moins autant que celle de « premier opéra tout court » qui colle à L'Orfeo de Monteverdi). Il n'empêche : avec ses entêtants chœurs populaires aux saveurs modales, ses romances nostalgiques, son orchestration rutilante et son ample souffle (près de quatre heures en version intégrale), l'ouvrage de Glinka mérite mieux que ce que lui ont jusqu'ici réservé nos scènes et les éditeurs de disques (quatre malheureuses « intégrales »). Du moins est-ce ce que l'on se répète au sortir de ce splendide concert ! L'absence de représentation scénique apparaît on ne peut plus justifiée dans le cas de cette fresque statique, conçue comme une sorte d'oratorio presque privé de récitatifs (Borodine s'en inspirera pour son Prince Igor). Et elle est largement compensée par l'interprétation puissante, tenue, somptueuse d'Alexander Vedernikov (ancien directeur musical du Bolchoï) qui, en dépit d'une gestuelle peu spectaculaire, porte à incandescence l'Orchestre Philharmonique et les Chœurs de Radio France. Ces phalanges sont certes remarquables en elles-mêmes ; mais l'on doit sans doute imputer aux leaders (outre Vedernikov, saluons le chef de chant et celui du choeur) leur évidente préparation - intonation superbe (dès l'a cappella initial), attaques acérées, phrasés somptueux (les violoncelles !), etc. On peut certes imaginer approche moins « karajanesque », plus naïve, moins symphonique, de l'ouvrage – mais se plaindra-t-on que la mariée soit trop belle ? La tension va grandissant tout au long de la soirée, culminant dans un tétanisant chœur de gloire (avec cloches rimskiennes et autres vocalises), qui s'attire une ovation du public. La distribution est à l'unisson. En dépit d'un timbre slave un peu serré, la soprano colorature Albina Shagimuratova cisèle avec une exquise musicalité les arabesques d'Antonida ; le velours sombre d'Alisa Kolosova (vingt-cinq ans !) drape d'une intense pudeur un Vania que les ans rendront plus martial ; aucun défaut de vaillance, en revanche, à reprocher au ténor solaire de Dmytro Popov, doté d'un tel sex appeal qu'on ne peut que déplorer la coupure de l'air de Sobinine. Seule relative déception : la voix mate de Gennady Bezzubenkov, usée par trop de rôles « de caractère » au Mariinsky, ne rend qu'imparfaitement justice au bel canto de Soussanine. A l'inverse de l'impérial Ghiuselev, l'interprète préfère accentuer la truculence et le prosaïsme de ce rôle de paysan – choix assumé avec tant de brio qu'il ne frustre guère... Une soirée d'une inoubliable intensité !

O.R.

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Photos Marc Ginot.