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Mary Dunleavy (Marguerite) et Antoine Bélanger (Faust). Photo Yves Renaud.


Fin de saison mémorable à l'Opéra de Montréal, qui présente un Faust éblouissant aussi bien sur le plan de l'exécution musicale que de la scénographie et de la mise en scène. Il s'agit là d'une de ces soirées exceptionnelles où une espèce de miracle nous fait redécouvrir une œuvre que l'on croyait parfaitement connaître et qui nous révèle pourtant des richesses insoupçonnées.

Sous la baguette d'Emmanuel Plasson, l'Orchestre Métropolitain, véritablement transfiguré, détaille chaque page du chef-d'œuvre de Gounod avec un sens des nuances tout à fait extraordinaire. On ne sait quoi admirer le plus : le travail remarquable des bois, la finesse des cordes, la précision des cuivres... Mais par-dessus tout, cette évidence jamais prise en défaut du rythme exact, du sens dramatique qui s'impose de lui-même. Emmanuel Plasson est également un chef qui sait respirer avec ses chanteurs, les soutenir lorsque nécessaire et galvaniser les choristes avec un enthousiasme communicatif. Il a réussi à redonner au chœur de l'Opéra de Montréal toute l'énergie dont il est capable et qui lui faisait étrangement défaut dans Le Trouvère en janvier dernier.

Ce Faust, le metteur en scène Alain Gauthier en propose une lecture à la fois stimulante et respectueuse. Si l'on en juge par les costumes, l'action se déroule à notre époque, encore que les trois principaux personnages portent des habits difficiles à dater. Dès l'ouverture, le spectateur découvre les éléments du décor qui se retrouveront tout au long de la soirée : onze bibliothèques murales très hautes qui semblent former un bloc compact, mais qui seront déplacées et éclairées de façon à suggérer le cabinet du vieux savant, la place publique, le jardin de Marguerite, sa chambre, l'église et la prison. Les changements à vue s'effectuent rapidement par onze figurants tout de noir vêtus qui, on le comprend bien vite, sont les assistants de Méphisto. Ainsi se trouve affirmée la puissance omniprésente du diable qui tire les ficelles du drame. Ces suppôts de Satan ensorcellent la foule pendant les strophes du Veau d'or, ce sont eux qui apportent le vin lors de la kermesse ou qui répondent par leur rire sardonique à la sérénade de leur maître. Ils jouent en outre un rôle de premier plan dans la scène de l'église où ils rampent et s'agitent autour de Marguerite en une pantomime des plus saisissantes.

L'autre aspect particulier de cette mise en scène découle du choix d'avoir confié le rôle de Faust à deux interprètes, en l'occurrence Guy et Antoine Bélanger (père et fils). Avant même que le vieux Faust ne boive la coupe fatale, le jeune Faust apparaît et s'approche de Marguerite. « À moi les plaisirs » n'est plus un duo mais devient plutôt un trio puisque que le vieux Faust demeure sur scène et se charge d'un certain nombre de répliques. On aurait pu croire que le vieillard ne reviendrait plus qu'à la fin ; mais non, il est bien présent aux actes subséquents et chante encore quelques courts passages, le plus souvent adressés à Méphisto, en alternance avec son double. Pour excellente qu'elle soit au point de départ, l'idée s'avère cependant lassante et détourne l'attention du jeune Faust. On se demande aussi, par exemple, pour quelles raisons le vieux Faust écoute « Salut, demeure chaste et pure », puis s'empresse de détaler au moment du duo d'amour...

La distribution est dominée par les interprètes de Méphisto et de Marguerite. Dans la lignée des Méphisto slaves comme Christoff, Ghiaurov ou Nesterenko, la basse russe Alexander Vinogradov retient d'abord notre attention par une voix prodigieuse, à la projection parfaite et aux aigus d'une facilité déconcertante. À ses dons vocaux, le chanteur allie une aisance et même une élégance scénique qui font irrésistiblement penser à la beauté du diable. La Marguerite de Mary Dunleavy, dont il convient de signaler la très bonne diction, attire à elle toutes les sympathies du public de par son jeu sensible, toujours juste, et grâce à son chant capable des plus belles nuances. Elle excelle aussi bien dans l'atmosphère méditative de la Chanson du roi de Thulé que dans la virtuosité de l'Air des bijoux, la tendresse amoureuse, la désespérance de la femme abandonnée et les grandes scènes dramatiques de l'église et de la prison.

Les deux Faust, qui possèdent des voix assez semblables, représentent la principale faiblesse de la production. Soulignons toutefois qu'Antoine Bélanger est ici bien plus dans son élément que dans La Bohème de l'an dernier, où son Rodolfo peinait à se mesurer à l'orchestration de Puccini. L'écriture de Gounod correspond beaucoup mieux à la nature de sa voix, quoique le contre-ut de la cavatine lui cause de sérieux problèmes et que le rôle de Faust soit à la limite de ses moyens. Âgé de 65 ans, Guy Bélanger projette bien, mais son registre grave est déficient et il a la fâcheuse tendance à accentuer presque chaque syllabe, ce qui a pour effet malencontreux de hacher les longues phrases mélodiques. Étienne Dupuis, quant à lui, campe un Valentin brillant et dont la mort est rendue de façon très émouvante. Quelques attaques imprécises seront sans doute corrigées lors des prochaines représentations. En raison de son manque flagrant de justesse, le Siebel d'Emma Parkinson déçoit, alors que Noëlla Huet est une Marthe impayable. En somme, si l'Opéra de Montréal n'a pas réuni une distribution absolument homogène, il propose néanmoins une des meilleures productions des dernières saisons.

 L.B.

Lire aussi notre édition de Faust : ASO n° 231.


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Guy et Antoine Bélanger (Faust). Photo Yves Renaud.