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Zeljko Lucic (Rigoletto) et Nino Machaidze (Gilda).

 

L’année Verdi approchant, n’était-il pas possible à l’Opéra de Paris de renouveler son Rigoletto ? La production de Jérôme Savary date de 1996 et propose un Verdi « de papa » : les décors décrépits de Michel Lebois sont certes évocateurs de la cour viciée du Duc de Mantoue, mais peu investis par une mise en scène routinière qui laisse les protagonistes à eux-mêmes – hélas, pour des poses figées et caricaturales et un manque d’approfondissement des personnages –, fait de l’avant-scène une zone de hors-jeu grisâtre et sans saveur, et se contente d’illustrer globalement l’intrigue sans en fouailler les plaies pourtant superbes.

Le public parisien fait un triomphe à la soirée : la partition de Verdi en soit remerciée, de même qu’un plateau vocal de belle tenue. Mais ce genre de non-théâtre anonyme, édulcorant l’œuvre sous la joliesse des brocards Renaissance, suffirait-il à faire applaudir un ouvrage moins rempli de tubes ? Les Parisiens ne méritent-ils pas de découvrir à leur tour toute l’affreuse complexité de Rigoletto ? Plusieurs productions ont pourtant revu à la hausse sa richesse ambiguë – pour la seule décennie passée : McVicar à Londres, Vick à Barcelone ou Lehnhoff à Dresde. Mais cette fois encore, avec cette énième reprise d’une proposition passe-partout, Paris ne connaîtra pas les sinuosités troubles de l’ouvrage, et trouvera normal que Gilda ne s’étonne pas de voir son père habillé en bouffon et présent chez son ravisseur, ni que le Duc conte fleurette à Maddalena avec la bienséance d’un Prince de chez Disney, ou que Rigoletto voie violer sans broncher la fille Monterone.

Le 23 février était la dernière d’une série de 10 représentations. Raison peut-être de la méforme de Zeljko Lucic, dont on aime le baryton puissant mais qui trahissait un haut-medium plafonné et bas – ses aigus, en revanche, n’étaient pas pris en défaut. Le ténor Piotr Beczala affichait, lui, une aisance remarquable ; son timbre ambré, peu latin mais très homogène, traversait l’œuvre et ses airs avec égalité. Tous deux manquent toutefois d’une direction d’acteurs attentive pour éviter une certaine banalité de leur composition dramatique. La Gilda de Nino Machaidze est plus lyrique que légère : voix charnue, elle donne au personnage une féminité vocale séduisante, malgré une émission irrégulière, soumise à un étrange forte-piano alternatif. Certaines coloratures, certains piqués, sont infimes, à côté d’autres comme giflés : la direction musicale aurait pu corriger cela, si elle n’était la vraie faiblesse de la production. La baguette de Daniele Callegari est précipitée, dans des tempi rapides mais jamais justifiées par l’urgence ou la fièvre ; pompes lourdes, dynamiques fatiguant l’oreille et l’équilibre fosse-plateau par un forte permanent, enchaînements sans liberté… Alors c’est Verdi qu’on assassine – dans l’ombre portée du trio vocal de tête, qui fait alibi.

Une telle soirée d’opéra fait perdurer l’image d’un art se contentant de chanteurs sachant chanter. Sauf que Verdi, lui, ne s’en contentait pas…

C.C.

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Piotr Beczala (Il Duca di Mantova) et Ilona Krzywicka (La Contessa).


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Photos : Opéra national de Paris / Ch. Leiber