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Nathalie Manfrino (Clélia Conti) et Sébastien Guèze (Fabrice del Dongo).

Henri Sauguet (1901-1986) tenait La Chartreuse de Parme, créée à l’Opéra de Paris en 1939, pour son chef-d’œuvre. À l’écoute des rares extraits enregistrés ou à la lecture du manuscrit il était difficile de le contredire et plus encore de lui donner raison sans réserves. Mais, en matière d’opéra, seule la représentation permet de prendre la mesure du potentiel dramatique et lyrique d’une partition. Le directeur artistique de l’Opéra de Marseille, Maurice Xiberras, s’était fait un devoir de ressusciter La Chartreuse de Parme (dont le matériel est toujours inédit !) et il en a pris les moyens.Dès la création, Sauguet avait dû pratiquer des coupures dans ces quatre heures de musique. Lors des rares reprises, il en avait décidé d’autres. À Marseille les choix ont été encore un peu différents pour respecter la logique de la progression dramatique et conserver les pages les mieux venues. À bon escient car, au terme des trois heures qu’occupent les dix tableaux (entracte non compris), on a la conviction d’applaudir un ouvrage émouvant et assez inspiré pour qu’on s’accommode de ses inégalités.Le parti pris de la production de rapprocher d’un siècle l’époque de l’action, en la stylisant, est servi par la qualité suggestive des dix décors dus à Bruno de Lavenère : entre des rideaux et des panneaux mobiles, quelques meubles ou objets significatifs subtilement éclairés par Laurent Castaingt instaurent l’atmosphère des lieux. Les costumes élégants, d’une tenue impeccable, de Katia Duflot s’y meuvent à l’aise car la mise en scène de Renée Auphan réalise un subtil équilibre entre la vraisemblance dramatique et les suggestions (ou les impératifs) de la musique. Ce n’est pas si simple car Sauguet suspend volontiers le temps pour développer les airs et les ensembles.Le rôle de Fabrice, exigeant, sinon écrasant, est un peu lourd parfois pour les jeunes épaules de Sébastien Guèze, mais il est si touchant, si crédible, que ses limites mêmes deviennent des forces. Très investie, Nathalie Manfrino sait convaincre, elle aussi, que Clélia est écrit pour sa voix légère même si les coloratures laissent deviner des tensions. Créé par Germaine Lubin (qui n’était pas mezzo !) le personnage ambigu de Gina est écrit entre deux registres ; Marie-Ange Todorovitch dont les intonations manquaient un peu de netteté jusque là, s’est pleinement révélée dans l’air bouleversant qui clôt le huitième tableau.L’autre mezzo, l’aubergiste Théolinde, n’a qu’une scène à chanter : Sophie Pondjiclis s’est imposée d’emblée par une présence vocale irrésistible. Nicolas Cavallier (Mosca), Jean-Philippe Lafont (le Général Conti) et Eric Huchet (Ludovic) ont tiré le meilleur parti des airs de bravoure que le compositeur leur a réservés. Les petits rôles sont bien tenus et, comme le chœur, ont soigné la prononciation. Au pupitre, Lawrence Foster a soutenu la tension dramatique sans bousculer ce qui doit s’épanouir et en équilibrant autant que possible avec le plateau, une orchestration parfois envahissante.

À présent qu’il a été donné à cette œuvre méconnue de faire la preuve de son efficacité, il faut espérer qu’elle n’en restera pas là, quitte à faire d’autres choix dramatiques ou musicaux : la ramure est fragile, mais le tronc est solide.

G.C.


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Nathalie Manfrino (Clélia Conti), Jean-Philippe Lafont (Général Fabio Conti), Marie-Ange Todorovitch (Gina, Duchesse de Sanseverina), et Nicolas Cavallier (Comte Mosca della Rovere).


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Nathalie Manfrino (Clélia Conti) et Sébastien Guèze (Fabrice del Dongo). Photos Christian Dresse.