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L'Opéra de Montréal termine sa saison avec une nouvelle production de La Bohème dont le premier mérite est de consacrer l'immense talent de Marianne Fiset dans le rôle de Mimi. Déjà entendue à Montréal en Lauretta de Gianni Schicchi en 2009, la soprano québécoise possède l'étoffe des grandes Mimi, avec sa voix riche et parfaitement homogène, sachant tout à la fois dominer sans difficulté l'orchestre de Puccini et nuancer son chant dans de superbes phrases mezza voce ou des pianissimi éthérés ; très bonne comédienne, elle sait conférer à son personnage un caractère assez déterminé qui évite toute mièvrerie, qualités qui feront sans doute merveille lorsqu'elle chantera la Manon de Massenet à l'Opéra-Bastille en février 2012. La force d'une telle interprétation rend d'autant plus saisissant le contraste avec Rodolfo, Antoine Bélanger, chanteur au style raffiné mais dépassé par les exigences du rôle. On l'imagine dans un certain répertoire français, dans la mélodie notamment, mais pas dans ce type d'emploi réclamant un ténor lyrique dotés d'aigus éclatants. Dans l'immense vaisseau de la salle Wilfrid-Pelletier, dont on ne dira jamais trop les déficiences acoustiques, sa voix paraît bien délicate en regard de celle de Mimi et de Marcello, campé de façon formidable par Étienne Dupuis. Très en voix, ce dernier prouve, deux mois après son John Sorel du Consul, combien il est un artiste complet qui brûle les planches grâce à une forte présence scénique. Lara Ciekiewicz, quant à elle, ne manque pas d'aplomb en Musetta vive, désinvolte, outrecuidante... Elle aussi possède une voix qui projette bien (encore que non exempte de stridence dans l'aigu), ce qui n'est pas exactement le cas de Schaunard (Pierre Rancourt) et de Colline (Alexandre Sylvestre), qui sait néanmoins se rattraper au dernier acte. Musicalement, le bonheur n'est donc pas parfait, d'autant plus que l'Orchestre métropolitain, dirigé par Giuseppe Pietraroia manque de flamme. Le discours musical de Puccini réclame plus de tonus, d'intensité, enfin de passion dans les grandes envolées lyriques.

Sur le plateau, l'action se déroule dans un dispositif scénique unique conçu par Olivier Landreville et qui a de quoi déconcerter : la mansarde des jeunes artistes est gigantesque et, au lever du rideau, Marcello peint sur la cage d'escalier, côté jardin, tandis que Marcello est juché sur une espèce de mezzanine côté cour. Tous deux semblent habiter littéralement les toits de Paris puisque des cheminées sont disposées à divers endroits de la scène ; ces cheminées se transformeront chez Momus en pattes de table puis en braseros au troisième acte. Une immense verrière occupe le mur du fond, avec les silhouettes de l'Arc de triomphe et de Notre-Dame. Cette même verrière, dans un effet plus heureux, formera au tableau suivant la façade du café Momus, lui aussi surdimensionné ; elle disparaît à la Barrière d'Enfer, tableau qui manque de poésie, principalement à cause d'un éclairage excessif ne traduisant pas bien la tristesse d'un petit matin pâle d'un jour d'hiver. Les costumes rappellent l'époque Louis-Philippe, à l'exception du bonnet de Mimi devenu ici, allez savoir pourquoi, une casquette ; ainsi coiffée, la fragile héroïne de Murger fait penser à Gavroche, comparaison d'autant plus inévitable que la jeune femme revêt le manteau de Rodolfo pendant toute la durée du deuxième acte. La mise en scène d'Alain Gauthier s'avère globalement inventive et efficace, attentive à caractériser les personnages principaux et à leur conférer une belle joie de vivre dans les moments légers. Il parvient à composer assez bien avec l'espace démesuré des premier et quatrième tableaux. Si l'idée d'enchaîner sans interruption les deux premiers actes est heureuse, il est dommage de faire entrer sur scène les clients de Momus alors que s'achève dans la plus grande douceur le duo d'amour de Rodolfo et Mimi : le bruit engendré par l'arrivée intempestive de ces personnages nuit à l'atmosphère extatique créée par la musique. Le tableau chez Momus se termine non pas par la retraite militaire, mais plutôt par le défilé des marmitons du café qui suivent avec entrain le maître queux, qui remplace le traditionnel tambour-major. Avec les belles incarnations de Marianne Fiset et d'Étienne Dupuis, cette mise en scène constitue sans doute l'élément le plus intéressant d'une Bohème qu'on aurait souhaitée plus bouleversante.

L.B.


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Marianne Fiset.


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Photos Yves Renaud.