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Sondra Radvanovsky (Elisabetta di Valois) et Ludovic Tézier (Rodrigo, Marchese di Posa)

 

Après douze ans de services déjà, la production de Graham Vick pour Don Carlo tient bien la route à l’Opéra Bastille. Très lisible, d’une scénographie épurée, elle s’appuie surtout sur l’austérité monumentale des décors de Tobias Hoheisel, dont les hautes parois carcérales ne laissent passer la lumière que par des ouvertures en forme de croix : la Cour de l’Espagne inquisitrice de Philippe II est bien là, l’Escurial même (dans l’obsession géométrique et grillagée), sans passer par l’illustration naïve mais plutôt par une abstraction bienvenue. On eût aimé, du coup, que la direction d’acteurs (très académique par ailleurs) aille jusqu’au bout de cette option, et nous fasse ressentir aussi la folle rigidité de l’étiquette d’alors, notamment les corps et les regards contraints à la distance. Or à l’exception de la scène Filippo/Inquisiteur, bien marquée du sceau du confessionnal isolant, cela manque, cela dépare surtout, déjouant par trop de déplacements et de proximités faciles la terreur et la solitude intérieures de chacun – que les décors, eux, auraient pu instaurer, soutenus par les lumières d’outre-tombe de Matthew Richardson. D’autant que cette reprise, réalisée par Michel Jankeliovitch, pèche par un relâchement de la mise en place des scènes de foule : quelques choristes arythmiques trop visibles dans leur chorégraphie de la Chanson du Voile, des députés flamands mous et sans envergure, des soldats ou des moines qui marchent au pas sans cadence d’ensemble… A retravailler. Mais ne boudons pas notre plaisir, bien réel car musical avant tout. A l’exception d’un Carlo Rizzi qui ne cisèle pas l’orchestre de Don Carlo comme il le devrait, manque parfois d’équilibre et fait sonner ses cuivres souvent trop fort – à son crédit néanmoins, des soli remarquablement mis en valeur –, Verdi est là, et bien chanté comme rarement. Toutes voix adaptées à leur rôle, formant un plateau aussi puissant que raffiné, le Filippo II de Giacomo Prestia nous émeut profondément dans son « Ella giammai m’amò », le Grand Inquisiteur de Victor von Halem est assez glaçant (quoiqu’un peu moins projeté), et Stefano Secco rattrape au mieux son Rodolfo assez manqué d’il y a quelques mois en offrant un Infant très crédible, fluet de corps mais juvénile de timbre et exalté d’attitude. Son Posa est la classe personnifiée, un Ludovic Tézier admirable de tenue et de phrasé, de style tout court. L’Elisabeth de Sondra Radvanovsky, moins impliquée scéniquement, impressionne vocalement par sa maîtrise souveraine de la tessiture et des nuances, aigus aussi aisés que modulés, et l’Eboli de Luciana D’Intino, au timbre voluptueux et à la tessiture également sans faille, conserve sa science du fiorito inentamée, aussi précise dans la vocalise que volcanique dans la jalousie. Une distribution à la hauteur des enjeux verdiens, c’est une qualité rare, à saluer.

C.C.


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Giacomo Prestia (Filippo II) et Ludovic Tézier (Rodrigo, Marchese di Posa). Photos :  Opéra national de Paris / Frédérique Toulet