Hermann Kuklin (Tcherevik), Svetlana Zalizniak (Khivria), Nadezhda Ryzhkova (Parassia), Serguei Vialkov (le Compère), Vitaly Petrov (Gritzko), Sergueï Maistruk (Afanassi Ivanovitch), Andreï Vylegzhanin (le Tzigane, Tchernobog), Chœur et Orchestre de l'opéra de Ekaterinbourg, dir. Evgueni Brazhnik (1996).
CD Brilliant Classics 94865. Distr. Abeille Musique.

Opéra inachevé (encore un !) de Moussorgski, laissé à l'état de scènes éparses pour voix et piano, passé par de multiples achèvements, La Foire de Sorotchintsi, opéra-bouffe rendant hommage à Gogol et au folklore ukrainien, avait finalement trouvé sa version optimale avec son introduction orchestrée par Liadov et les dialogues de ses scènes manquantes achevés par Vissarion Chebaline. Rappelons aussi qu'elle offre la particularité d'inclure une version avec chœur de la Nuit sur le Mont Chauve, intermède évoquant le cauchemar du jeune Gritzko, l'un des héros d'une histoire loufoque, laquelle tourne autour de la présence du Diable, vêtu d'une veste rouge et affublé d'un groin de porc, venu hanter le bon peuple à l'occasion d'une fête foraine. Superstition dont saura tirer parti un habile Tzigane, dont le subterfuge permettra à Gritzko d'épouser la belle Parassia, fille du vieux Tcherevik et de la mégère Khivria. Les scènes écrites par Moussorgski, avec l'effervescence de la foire, les personnages et les dialogues typés, sont des chefs-d'œuvre d'humour savoureux, sertis de motifs ukrainiens et entrecoupés de quelques épisodes lyriques (une des mélodies anticipe curieusement sur le début du Sacre du Printemps). On comprendra que l'interprétation doit tendre vers un but essentiel : mettre de l'ambiance et faire vrai ! Et le moins que l'on puisse dire est que le présent enregistrement remplit pleinement ces exigences, et qu'on ne s'ennuie pas une seconde.

Le personnage central de l'histoire est Tcherevik (c'était pour l'interprète pressenti du rôle, Ossip Petrov, que Moussorgski avait conçu son projet), une basse bouffe aussi lourdaude que truculente, dont Hermann Kuklin restitue à merveille les intonations avinées, quitte à chanter parfois à côté des notes voire à remplacer le chant par du quasi-parlando. Mais il est irrésistible de drôlerie, surtout qu'il est flanqué de celle qui emporte indiscutablement la palme de la distribution, Svetlana Zalizniak en Khivria, à la voix ferme, agressive, au débit rapide et sans faille, une magnifique peste, aussi hilarante lorsqu'elle mène à Tcherevik une vie impossible que lorsqu'elle se fait câline dans la scène où elle reçoit son petit chéri, le séminariste Afanassi Ivanovitch. Dans ce petit rôle de ténor de caractère, qui fait sa cour à la dame mûre sur des tournures de chants religieux, Sergueï Maistruk compense une voix peu stable par un art du jeu qui, là encore, donne à la scène son plein de cocasserie. Les autres chanteurs sont égaux en qualités vocales et en implication dans leurs personnages, avec les beaux timbres pleins de sève de Nadezhda Ryzhkova (Parassia) et de Vitaly Petrov (Gritzko), et le solide baryton-basse d'Andreï Vylegzhanin qui cumule les deux rôles du Tzigane et de Tchernobog dans la Nuit sur le Mont Chauve. Une mention pour la qualité de son de l'orchestre d'Ekaterinbourg, notamment dans la magnifique introduction, chantante et lumineuse ; et, tout de même, un regret pour l'absence de livret. On était longtemps restés (depuis l'époque du LP) sur les deux versions, fort méritoires, d'Aranovitch et de Essipov, toutes deux rééditées par Le Chant du monde. Celle-ci, qui n'est pourtant pas récente (1996 !), vient apporter une nouvelle bouffée de parfum du terroir ukrainien. Oserai-je dire que c'est aujourd'hui particulièrement d'actualité ?...

A.L.