Christel Goltz (Agave), Fritz Uhl (Penthée), Paul Schöffler (Dionysos), Kurt Böhme (Cadmos), Ludwig Welter (Tiresias), Christiane Sorell (Ino), Sonja Draksler (Panthea), Chœur et Orchestre de l'ORF Vienne, dir. Miltiades Caridis (Vienne, live VI.1960).
CD Myto 00331. Distr. Abeille Musique.

Clemens Krauss créa ces Bakchantinnen à l'Opéra de Vienne le 20 juin 1931. Egon Wellesz, trente-sept ans, comptait alors comme l'un des compositeurs majeurs de la nouvelle génération, l'un de ceux que l'on donnait pour le successeur de Richard Strauss inspiré lui aussi par Euripide dont il avait mis en musique trois ans plus tôt le livret tiré par Hofmannsthal d'Hélène, tragédie majeure de la dernière période de l'auteur. A l'orchestre évocateur de Strauss, à sa vocalité débridée répondent l'urgence dramatique, le chant parlando implacable de Wellesz, deux mondes que tout oppose mais dont les esthétiques ne sont pas forcément divergentes. D'ailleurs Krauss admira tant la maîtrise de Wellesz et, au premier chef, son sens d'un temps dramatique resserré, qu'il convainquit Strauss de reprendre après la mort d'Hofmannsthal l'acte II d'Hélène d'Egypte pour en condenser l'action. Les leçons d'un certain théâtre lyrique moderne avaient donc été entendues. La création fit grand bruit, mais l'ouvrage tomba malgré l'enthousiasme de Krauss. Son projet de le reprendre à Munich se heurta aux lois raciales qui contraignirent Wellesz à l'exil en 1938. La radio autrichienne exhuma l'œuvre en 1960, la dotant d'une prise de son particulièrement soignée. Wellesz put en entendre la diffusion à son domicile d'Oxford et s'en déclara fort satisfait.

Comparé à l'enregistrement dirigé par Gerd Albrecht pour Orfeo en 1999, lecture de studio avec tout le confort moderne, le geste brûlant de Miltiades Caridis rend justice à une partition dont on ne soupçonnait pas la puissance dramatique. Le cast emporte tout, de l'Agave passionnée et en grande voix de Christel Goltz - chez Albrecht Roberta Alexander se noyait littéralement dans le flot submergeant d'une partie vocale débridée - au Dionysos tonnant de Paul Schöffler, du Cadmos stentorien de Kurt Böhme au Penthée de Fritz Uhl, on tient là le meilleur moyen de réévaluer ces Bakchantinnen dont l'ultime écho sera en 1966 Les Bassarides de Hans Werner Henze. Complément stupéfiant, tout un récital Schöffler avec surtout trois Schubert captés en 1944 (Musensohn, Doppelgänger, Die Stadt), autant parlés que chantés, qui rappellent quel Liedersänger il fut aussi.

J.-C.H.