Renate Behle (Tschang-Haitang), Gabriele Schreckenbach (Mme Tschang), Roland Hermann (Ma), Siegfried Lorenz (Tschao), Celina Lindsley (la Fille), Reiner Goldberg (Pao), Uwe Peter (Tong), Hans Helm (Tschang-Ling), Gertrud Ottenthal (Yü-Pei, Mme Ma), Orchestre Radio symphonique de Berlin, dir. Stefan Soltesz (1991).
CD Capriccio C 5190. Distr. Abeille Musique.

1932. Zemlinsky compose Der Kreidekreis, ce qui sera son septième et dernier opéra achevé, puisque le suivant, Le Roi Candaule, le sera par Antony Beaumont plus de 50 ans après sa disparition. Son choix se porte ici sur une pièce qui fait un tabac en Allemagne depuis 1925, Le Cercle de craie de Klabund, dont Brecht fera aussi sa propre version en 1945. Vieille histoire chinoise du XIIIe siècle, qu'on connaît aussi dans une autre version plus occidentale et autrement plus ancienne, avec le Jugement de Salomon : deux femmes se disputent un enfant, et l'Empereur avisé a tôt fait de proposer une épreuve dont la vraie mère sort gagnante par amour et compassion, et gagne le rang d'Impératrice. Mélange de conte de fées (l'Empereur est le vrai père de l'enfant) et de réalisme social (la mère a été vendue et maltraitée), cette utopie fonctionne sans peine et rencontre ici une traduction particulièrement efficace. Le succès annoncé de plusieurs premières parallèles en Allemagne se transforma en un interdit des nazis, une création à Zurich fin 1933, étonnamment suivie de premières à Stettin et Coburg avant Berlin, puis d'un long oubli.

Sous l'influence évidente de Weill et de la mode du temps, Zemlinsky a opté pour une dramaturgie de stéréotypes fort efficace, typique d'un théâtre brechtien, dont les tableaux musicaux sont ponctués de récitatifs parlés. Ton et style même changent avec l'évolution de l'action. Le compositeur du Nain ne peut empêcher son lyrisme naturel d'envahir la partition de grandes phrases à la délicatesse infinie pour caractériser Haitang, l'héroïne, tout en jouant d'une modernité de discours qui renvoie au piquant et à l'exotisme de la Turandot de Busoni comme à l'incisif des œuvres de Weill du moment, en particulier quand l'action se fait plus dramatique. Ce qui n'empêche pas le finale, où l'amour triomphe, de ressembler quelque peu à celui de la Turandot de Puccini / Alfano, cette fois. On ne pourra pas parler ici de synthèse, mais plutôt d'esprit du temps, qui ne condamne pas l'œuvre pour autant, Zemlinsky étant au faîte de sa personnalité et de sa maîtrise musicale.

Enregistrée en 1990 par Capriccio au plus fort de la Zemlinsky Revival, cette unique version était introuvable. Elle revient, hélas sans livret. Mais ce qu'elle offre en matière d'intérêt musical et d'interprétation reste premier : une équipe œuvre sous la direction vivante et sensible de Stefan Soltesz, avec l'admirable sensibilité de Renate Behle, un Reiner Goldberg moins défait qu'en ses Wagner trop lourds, les excellents Roland Hermann et Siegfried Lorenz. Retour bienvenu.

P.F.