Judith van Wanroij (Ariane), Mathias Vidal (Bacchus), Véronique Gens (Junon), David Witczak (Adraste), Marie Perbost (Corcine), Hélène Carpentier (Dircée), Matthieu Lécroart (Géralde, Jupiter), Le Concert spirituel, les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles, dir. Hervé Niquet.
Alpha 926 (2 CD). 2022. 2h06. Notice en français. Distr. Outhere.
 
Il y a bien du monde, sur cette île de Naxos où Thésée a confiné Ariane ! Non seulement le roi de l’endroit avec toute sa suite, mais encore deux prétendants de la belle, le mélancolique Adraste et le divin Bacchus, celui-ci étant poursuivi par la haine de Junon mais protégé par Jupiter et l’Amour ; ajoutons-y l’amante éconduite d’Adraste (Dircée), un magicien, des songes, des démons, des matelots, et une foule de serviteurs et suivantes – et on aura compris que ce livret ne rend guère sensible la solitude d’Arianna abbandonata !
 
Tirés à hue et à dia par des dieux aux motivations mesquines, les personnages de cette fausse tragédie en musique, qui s’achève presque en opéra-bouffe, n’existent guère. D’autant que la partition de Marin Marais (créée en 1696) refuse de s’attarder, leur confiant peu d’épanchements, réservant les « petits airs » aux rôles secondaires et ses meilleurs effets aux divertissements (invocation à Neptune de l’acte I, chaconne virtuose et fête des marins au II, apparition des démons au III).
 
Il est vrai que c’est Hervé Niquet qui est aux commandes (comme il l’était pour la Sémélé du même auteur, enregistrée par Glossa en 2007), chef vigoureux et impulsif, privilégiant le mouvement sur la contemplation, réussissant des enchainements souples et naturels, mais adoptant souvent le galop pour le récit (les « scènes », comme on disait), au risque de faire suffoquer l’auditeur.
 
Optant pour un grand orchestre de quarante musiciens, débarrassé des « colifichets du pittoresque baroque » (continuo trop bariolé, doublures, percussions intempestives), il allège la pâte des danses en évacuant la basse et fait dialoguer le plein effectif avec un ravissant « petit chœur ». Néanmoins, la prise de son, effectuée dans un espace profond, ne rend pas toujours justice à ces raffinements, brouillant parfois aussi les interventions chorales (surtout au début).
 
Onze chanteurs solistes sont amenés à incarner une bonne trentaine de figures, sans pouvoir toujours les caractériser : l’incisif Witczak se montre irréprochable en amant malheureux, Gens pleine d’autorité et Carpentier de fraîcheur, dans des rôles peu gratifiants, Lavoie campe un roi crédible mais un sacrificateur aux graves écrasés, Lécroart un magicien plein d’humanité et Estèphe réussit un beau doublet en Pan et Lycas. Van Wanroij alterne réussites (monologue du III – déjà enregistré par Katherine Watson dans L’Opéra du Roi Soleil, Aparté, 2018) et hésitations (l’acte I), son éloquence et sa sensibilité compensant un bas-médium terne et un français pointu, tandis que Vidal, comme toujours, chante à la limite de ses moyens des rôles trop aigus pour lui (le Songe !).

En définitive, on admire le travail accompli mais on garde l’impression que cet ouvrage n’est guère fait pour le disque.  

Olivier Rouvière