Reinoud van Mechelen (Zoroastre), Tassis Christoyannis (Abramane), Jodie Devos (Amélite), Véronique Gens (Erinice), Mathias Vidal (Abénis, Orosmade), David Witczak (Zopire, Ahriman), Gwendoline Blondeel (Céphie), Choeur de chambre de Namur, Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, dir. Alexis Kossenko.
Alpha ALPHA891 (3 CD) . 2022. 2h46. Notice en français. Distr. Outhere.
 
Des cinq tragédies lyriques de Rameau, trois (Castor et Pollux ; Dardanus ; Zoroastre) ont connu, chacune, deux versions. Dans les deux derniers cas, librettiste et compositeur se sont attachés à améliorer une œuvre froidement reçue par le public en réécrivant trois actes entiers (sur cinq). Les deux intégrales parues de Zoroastre (Kuijken, 1983 ; Christie, 2001) ne nous avaient jusqu’ici fait connaître que la version révisée de l’ouvrage, celle de 1756 – les actes II, III et V créés en 1749 restant inédits au disque.
 
Sans entrer dans le détail des différences existant entre les deux moutures, avouons préférer la plus tardive : en 1756, Cahusac réussit davantage à dissimuler le statisme de sa dramaturgie (qui fait sans cesse alterner le triomphe du bienfaisant Zoroastre et celui du maléfique Abramane) ; il améliore considérablement son deuxième acte, tandis que Rameau ajoute de nombreux soli pour les deux vilains, et transfère à la douce Amélite une ariette d’abord dévolue au rôle proéminent du héros.
 
Quoi qu’il en soit, on n’en est pas moins ravi de découvrir le plus ancien état, notamment les plages plaintives qui ouvrent l’acte III. Et on ne saurait faire la fine bouche devant une troisième intégrale de ce chef d’œuvre, gorgé de musique si ce n’est d’action, culminant dans un terrifiant acte IV, messe noire comparable en vigueur satanique au second acte d’Hippolyte et Aricie.
 
La distribution réunie par Kossenko associe noms attendus et invités plus surprenants. Haute-contre radieuse et sensible, Van Mechelen s’imposait en Zoroastre, un rôle – peut-être son meilleur au disque, à ce jour – dont il possède désormais l’autorité, la vaillance solaire et l’assise grave. Et qui mieux que Gens pouvait camper la « fière Erinice », dont elle se plaît à accuser les extrêmes, sans pour autant faire perdre à son chant sa classe coutumière ? La voix chaleureuse de Christoyannis ne semblait pas faite pour le sanguinaire Abramane : de fait, le baryton n’affiche pas l’implacable noirceur d’un Gregory Reinhart (chez Kuijken), mais sa délectable élocution et la finesse de son incarnation confèrent au personnage densité et humanité. Seule Devos déçoit un peu : le timbre, lumineux, séduit toujours mais l’interprète paraît corsetée, l’œil rivé à la baguette du chef.
 
Au sein d’une somptueuse troupe de comprimari, il convient de distinguer le tranchant Witczak, aussi crédible en cruel Zopire qu’en Génie compatissant. Tressons aussi des palmes au superbe chœur de Namur, que Rameau ne ménage pas. L’orchestre, mal servi par une prise de son étroite et sèche, se montre techniquement convaincant mais pas toujours aussi expressif qu’on le voudrait : le thème initial de l’ouverture manque de férocité et les danses de sensualité. Kossenko reste dans le contrôle, veillant davantage sur les récitatifs (soigneusement animés par les notes inégales) que sur les pages symphoniques, dont il ne laisse pas toujours le lyrisme s’épanouir.
 
Gageons qu’après avoir été rodée sur scène, cette version originale de Zoroastre gagnera(it) en panache et en liberté...

Olivier Rouvière