Renato Girolami (Il Conte Robinson), Donato Di Stefano (Geronimo), Loriana Castellano (Fidalma), Klara Ek (Elisetta), Giulia Semenzato (Carolina), Jesus Alvarez (Paolino). Academia Montis Regalis, dir. ALessandro De Marchi. (Insbruck, 10-16 août 2016). Notice en allemand et en anglais. Livret en italien, anglais et allemand. (197min)
CPO 555 295-2. Distr. DistrArt Musique.

Bien que créé en 1792 au Burgtheater de Vienne, Il Matrimonio segreto est incontestablement le chef d’œuvre de l’opéra bouffe napolitain. Le livret de Bertati (l’auteur du Don Giovanni de Gazzaniga) offre au compositeur des situations au comique irrésistible, des personnages croqués avec juste ce qu’il faut d’ironie et une finesse dans le langage qui est à l’égal de celle des livrets de Da Ponte, avec quelques allusions coquines mais sans trivialité dont le premier air de Fidalma constitue un bon exemple. Cette histoire de mariage secret, de prétendant avantageux (Il Conte Robinson) qui ne veut pas de sa promise (Elisetta) et s'amourache de sa sœur (Carolina) mais finira par l'épouser tout de même, de la tante (Fidalma) qui se croit aimée du jeune mari secret de sa nièce, de ce père de famille bourgeois imbu de noblesse et un peu sourd (Geronimo) et de ce couple d’amoureux transis (Carolina et Paolino), piégés par les conventions, est une merveille d'ingéniosité théâtrale dont les rebonds successifs de l'action seraient digne d'un Labiche. Les librettistes des farces vénitiennes de Rossini s'en souviendront une trentaine d’années plus tard et le compositeur lui-même saura faire sien l'héritage de son aîné. L'on sent bien pointer dans l'air tendre de Paolino et les duos bouffes comme ceux des deux basses à l'acte II ou de Paolino et Fidalma, basés sur des quiproquos ou des malentendus, ceux du Cygne de Pesaro, voire même déjà le Don Pasquale de Donizetti. En termes de raffinement orchestral, le langage de Cimarosa ne peut se comparer qu’à celui du Mozart des Noces. Le ton lui-même possède une délicatesse, un esprit de malice associés à une « gentillesse » qui sont à l'opposé de l'âpre critique sociale du précédent et tire plutôt du côté de la comédie bourgeoise. La richesse musicale de l’œuvre justifie sa longueur, quasiment trois heures vingt pour une vingtaine de numéros, qui, grâce à la variété des airs toujours pleins d'invention formelle et mélodique ne pèsent jamais, pas plus du reste que les récitatifs car ils y sont absolument nécessaires. Seuls, peut-être, les finals en chaîne n'ont pas tout à fait cette incroyable mécanique qui rend si formidables ceux de Mozart.
Cet enregistrement capté sur le vif au festival d'Innsbruck 2016 arrive à point nommé dans une discographie disparate et clairsemée, et un peu datée, d'autant plus qu'il fait table rase de toutes les traditions et restitue au melodramma giocoso son intégrité, non seulement en termes de numéros mais également stylistiquement, avec une contribution exceptionnelle de l'Accademia Monte Regalis sur instruments d’époque dirigés avec un flair théâtral sans faille par Alessandro De Marchi, restituant à la partition son ample gamme expressive. La distribution constitue une remarquable équipe dont l’italianité, pour la plupart de ses membres, n’est pas pour rien dans la vivacité des récitatifs et où chacun tient son rôle à la perfection mais dont se détache particulièrement le Conte Robinson de Renato Girolami à la verve exceptionnelle qui semble se transformer au fil de l’action de séducteur désinvolte et intéressé en protecteur plein de bienveillance. Les deux sopranos se complètent remarquablement, la Carolina plus légère et plus brillante de Giulia Semenzato répond à l’Elisetta plus corsée de Klara Ek, tandis que la mezzo de Loriana Castellano donne à Fidalma toute la saveur d’une Quickly au petit pied. Donato di Stefano gonfle de toute l’importance voulue son personnage de pater familias buté et rigide Seul le ténor Jesus Alvarez paraît un peu laborieux et ne peut prétendre à l’appellation « di grazia » qui est celle du rôle de Paolino. Les rires du public et les quelques photos qui illustrent le livret laissent à penser que la production de Barbe & Doucet aurait pu justifier une captation vidéo mais, tel quel, avec sa seule musique, l’opéra de Cimarosa est un enchantement de tous les instants et fait comprendre pourquoi Stendhal adorait cette œuvre et son compositeur et envisageait de faire graver sur sa stèle funéraire : « Quest’alma adorava Cimarosa, Mozart e Shakespeare… ». Notez le bien, Cimarosa, en premier.


Alfred Caron