Yann Beuron (Barbe-Bleue), Héloïse Mas (Boulotte), Christophe Gay (Popolani), Christophe Mortagne (roi Bobèche), Jennifer Courcier (Hermia), Thibault de Damas (comte Oscar), Carl Ghazarossian (prince Saphir), Aline Martin (reine Clémentine). Chœur et orchestre de l'Opéra de Lyon, dir. Michele Spotti. Mise en scène : Laurent Pelly (Lyon, 25 et 29 juin 2019).
Opus Arte OA1336D (1 DVD). Livret d'accompagnement en anglais, sous-titres en français. Distr. DistrArt Musique.
Bonus : documentaire « Tales of Offenbach » (58').

Le hasard des parutions fait en sorte que ce Barbe-Bleue lyonnais nous arrive à peine quelques semaines après la réédition du film-opéra (1973) de Walter Felsenstein, spectacle marquant de l'interprétation offenbachienne, mais chanté en allemand. Voici enfin la version originale, donnée avec des dialogues révisés par Agathe Mélinand, qui a été très respectueuse du livret de Meilhac et Halévy. Pour sa onzième mise en scène d'Offenbach, Laurent Pelly offre un spectacle très réussi qui, sans se hisser au niveau de La Belle Hélène et de La Grande-Duchesse de Gérolstein (où brillait la merveilleuse Felicity Lott), montre une nouvelle fois comment il sait bien rendre l'esprit irrévérencieux du « Mozart des Champs-Élysées ». Pour évoquer l'aspect inquiétant et faussement monstrueux du rôle-titre, les deux premiers tableaux se déroulent dans un décor dont le mur de fond est en partie composé d'un immense journal où l'on peut lire les gros titres d'articles relatifs à des morts suspectes. Au premier acte, le contraste est saisissant entre le monde des paysans évoluant devant une misérable grange de métal ondulé et le seigneur Barbe-Bleue, qui, tel un parrain de la mafia, fait son entrée dans une luxueuse voiture noire et apparaît avec des verres fumés et un long manteau de cuir. Le caveau où son alchimiste Popolani est censé avoir tué ses anciennes épouses devient ici une salle lugubre où l'on retrouve d'énormes portes de congélateurs... qui ouvrent en fait sur un intérieur douillet propice à émoustiller les sens. Dans l'élégant palais du roi Bobèche, serviteurs de l'État et grandes dames ne sont que des pantins dont l'unique soin est de courber l'échine chaque jour davantage. Avec son sens affûté de la comédie, Pelly mène joyeusement ses troupes dans une représentation amusante, quoique parfois un peu sage. On aurait aimé par exemple un Popolani plus explicitement jouisseur, une cour plus décadente et un Barbe-Bleue plus drolatique.

Dans la fosse, Michele Spotti et l'Orchestre de l'Opéra de Lyon comprennent parfaitement le sens du rythme d'Offenbach, tout comme le chœur, en excellente forme. Habitué des mises en scène de Pelly, Yann Beuron campe un Barbe-Bleue à la mine assez peu rassurante et au jeu toujours très juste, quoique manquant parfois d'un côté primesautier. Dans un rôle où se sont notamment illustrés Michel Sénéchal et Hanns Nocker, il redonne une certaine juvénilité au personnage grâce à sa couleur vocale. Lui manquent toutefois le caractère triomphant et cette arrogance qui devraient se traduire par des aigus plus assurés, notamment au finale du premier acte, lorsqu'il chante « Prince, j'épouse une bergère/À la barbe de mes aïeux ! », passage donné ici bien timidement en voix de tête. Désopilante en Boulotte, Héloïse Mas possède toute l'effronterie souhaitée, doublée d'une riche et puissante voix de mezzo. Si Christophe Gay articule bien le texte et prête à Popolani une belle duplicité, les moyens vocaux s'avèrent toutefois modestes. Affichant comme il se doit une outrageuse morgue royale, Christophe Mortagne est pour sa part un modèle de santé vocale. Thibault de Damas rend avec esprit les couplets du comte Oscar du deuxième acte, Aline Martin incarne une digne reine Clémentine bien chantante, tandis que les amoureux Hermia et Saphir bénéficient des timbres frais de Jennifer Courcier et Carl Ghazarossian. Pour prolonger le plaisir de cette production donnée à l'occasion du bicentenaire de naissance du compositeur, le DVD contient un documentaire d'une heure intitulé « Tales of Offenbach » qui, outre des extraits d'Orphée aux Enfers, La Belle Hélène, Barbe-Bleue et Les Contes d'Hoffmann, donne la parole non seulement aux principaux artisans du spectacle, mais aussi à Barrie Kosky, Felicity Lott, Serge Dorny, Enrique Mazzola et Kent Nagano.

Louis Bilodeau