Monica Piccinini (Diana), Arianna Venditelli (Dafne), Sonia Tedla (Amore), Raffaele Pe (Apollo), Valerio Contaldo (Mercurio), Zefiro, dir. Alfredo Bernardini.
Arcana A 488 (2 CD). 2019. 2h. Notice en anglais, italien. Dist. Outhere.

Quelle délicieuse partition ! Mais, ça, on le savait déjà – au moins depuis 1990, lorsque René Clemencic la choisit pour représenter l’Autriche, dans un panorama de l’opéra baroque proposé par le théâtre des Champs-Elysées. Comme les autres ouvrages composant ce panorama (L’Olimpiade de Vivaldi, le Croesus de Keiser, etc.), la Dafne de Clemencic a donné lieu à une publication en CD (Nuova Era), dont les imperfections étaient en partie dues à la captation en concert. On rêvait donc d’une Dafne en studio – raté : la nouvelle venue a elle aussi été saisie dal vivo (durant deux représentations dans une scénographie qui, si l’on en croit les photos accompagnant le coffret, avait l’air redoutable). C’est un peu dommage, car la musique raffinée de Fux s’accommode mal des aléas du direct, et certains ornements (les interpolations aiguës de Raffaele Pe, notamment) auraient gagné à être polis. Créé en 1714 dans la résidence d’été du jeune empereur Charles VI, dont on fêtait l’anniversaire, Dafne in lauro est qualifié de componimento da camera (« composition de chambre ») : d’un seul tenant, l’œuvre relève en fait davantage de la sérénade et du divertissement cynégétique que de l’opéra proprement dit. On y voit l’Amour se venger d’Apollon (qui a dénigré son arc) en le forçant à s’éprendre de la dédaigneuse Daphné ; en dépit des objurgations de Diane et Mercure, Apollon poursuit Daphné jusqu’à ce que celle-ci, pour lui échapper, se change en laurier – dont Apollon couronnera désormais poètes, généraux et athlètes méritants. Si l’action est mince, la musique apparaît d’une incroyable variété, non seulement du fait de son instrumentation (chalumeau, hautbois, basson, flûte, théorbe, violoncelle et viole ont chacun leur solo, tandis que les cors de chasse, absents, sont imités par les autres instruments !) et de sa pétulance rythmique (nombres d’airs adoptent des carrures de danses : chaconne, menuet, gigue, bourrée) mais encore de son sens de la caractérisation : Apollon hâbleur, Diane volontaire, Daphné secrète, Amour cruel et Mercure ratiocineur se voient parfaitement croqués. La version de Clemencic proposait une brillante distribution, parfois amenée à détonner. Celle de Zefiro est a priori plus modeste et on regrette notamment que les trois sopranos se ressemblent trop (Van der Sluis, par exemple, campait une Diane plus altière que Piccinini) : mais tous chantent fort bien et, grâce à l’expérience de la scène, incarnent véritablement leurs rôles. Ils relèvent aussi haut la main le pari, historiquement discutable, d’interpréter les trois grands chœurs. Davantage que la direction hésitante de Clemencic, celle de Bernardini accuse les contrastes d’une musique irrésistible, dont les vingt-deux instrumentistes, tous épatants, semblent se délecter. Les dernières pages de la notice d’accompagnement (non traduite en français) nous apprennent une excellente nouvelle : cinq autres opéras de Fux vont être gravés dans les années à venir ! Mais pourquoi avoir exclu de cette liste le bel Orfeo, composé juste après Dafne et pour la même distribution ?

Olivier Rouvière