Déborah Cachet (Alphise), Caroline Weynants (Sémire), Mathias Vidal (Abaris), Benoît Arnould (Adamas), Benedikt Kristjánsson (Calisis), Tomáš Šelc (Borilée), Nicolas Brooymans (Borée), Lukáš Zeman (Apollon), Helena Hozová (l’Amour), Collegium 1704, dir. Václav Luks (2020).
Château de Versailles Spectacles CVS 026 (3 CD). 2h45. Notice en français. Distr. Outhere.

Chef-d’œuvre inouï d'un compositeur octogénaire, Les Boréades, achevé dès 1763, peu avant la mort de Rameau, ne fut créé (scéniquement) qu'en... 1982, au Festival d'Aix-en-Provence, dans une mise en scène de Jean-Louis Martinoty et sous la direction de John Eliot Gardiner. Ce dernier, tirant parti de l'énergie magnétique des représentations et d'une équipe superlative, le grava aussitôt pour Erato – et c'est à cette référence que doit se mesurer Luks aujourd'hui. Mais à l'impossible, nul n'est tenu, même si le chef tchèque, qui nous avait déçu dans la Saint Matthieu de Bach et le Rinaldo de Haendel, s'en tire plutôt bien. Il n'affiche certes pas la sophistication de Gardiner, cette science du rebond, des notes inégales, cette façon d'anticiper sur le temps pour relancer la théâtralité du discours ; mais sa direction aux tempi soutenus, trop carrée dans les échanges dialogués, s'avère payante dans les longs divertissements, fermement architecturés, moins tentés par le pur hédonisme et finalement mieux intégrés au drame que chez son rival. Son superbe orchestre aux teintes sombres et mordorées (quelles flûtes sublimes !) et un chœur supérieurement investi offrent une alternative probante aux forces anglaises, plus virtuoses mais aussi plus uniformément brillantes.

Les interprètes des rôles principaux tiennent leur rang. Là encore, Cachet et Vidal, voix claires et franches, ne possèdent pas la subtilité, la variété de teintes, le sfumato bouleversants de Smith et Langridge. La première s'avère solide mais monochrome, tandis que le second, parfois fragilisé par l'un des plus difficiles rôles de hautes-contre du répertoire (un « Lieux désolés » détimbré à force de mezza voce) n'en dessine pas moins un héros ardent et touchant. Arnould est un Adamas moins noble mais plus tranchant que Le Roux, Weynants une Sémire brillante – même si, au disque, on n'aurait pas dû laisser passer ce « Il Hamène l'orage » teuton, moult fois répété au cours de l'ariette « Un horizon serein ». En somme, nous aurions pu tenir là une très bonne (seconde) version de l'opéra n'étaient... les rôles-titres. La plupart des parties secondaires sont en effet tenues par des chanteurs tchèques dont les efforts méritoires pour maîtriser notre langue entravent l'expression. Brooymans (grave menaçant mais vocalises pataudes) et Zeman conservent une certaine prestance. Mais si Kristjánsson possède les aigus de Calisis, il reste d'une terrible fadeur dans un rôle qu'Aler chargeait de venin, tandis que Šelc, qui semble chanter avec des châtaignes plein la bouche, se révèle inécoutable. Des Boréades sans Boréades ? C'est manifestement possible mais c'est dommage. (Ajoutons que le livret reproduit comporte pas mal de coquilles qui, là encore, auraient pu être corrigées).


Olivier Rouvière