Svetla Vassileva (Ilàra), Massimiliano Pisapia (Américo), Andrea Borghini (Iberè), Elisa Balbo (la comtesse de Boissy), Daniele Terenzi (Gianfèra), Dongho Kim (le comte Rodrigo, Goitacà), Marco Puggioni (Guarûco), Francesco Musinu (Tupinambà, Lion), Michelangelo Romero (Tapacoà), Orchestre et Chœur du Teatro Lirico, dir. John Neschling, mise en scène : Davide Garattini Raimondi (Cagliari, 2019).
BRD Dynamic 57845. Notice et synopsis ital./angl. Distr. Outhere.


Du compositeur brésilien Antônio Carlos Gomes (1836-1896) nous sont conservés quelques titres, plus par la mémoire que par leur présence au répertoire : notamment Il Guarany, triomphalement créé à la Scala en 1870 et déjà tourné vers l’histoire de son pays natal (en confrontant colons européens et tribu amazonienne), Salvator Rosa (Gênes, 1874) et ce Schiavo (L’Esclave), créé à Rio de Janeiro en 1889, soit un an après l’abolition de l’esclavage dans le pays, mais conçu à partir de 1880, quand le sujet était encore objet d’une lutte nationale.

Initialement situé en 1801, avec pour toile de fond l’esclavage des noirs déportés d’Afrique, le livret esquissé par l’abolitionniste Alfredo d’Escragnolle Taunay (et remanié par l’Italien Rodolfo Paravicini) fut prudemment reculé au XVIe siècle, temps de la conquête par les Portugais des territoires amazoniens et de leurs tribus natives. Si sa naïveté dramaturgique n’est somme toute pas si rare (les amours interdites d’Américo, fils de colon, et d’Ilàra, jeune Amazonienne de la tribu des Tamoyos, trouveront néanmoins une issue heureuse), sa platitude de ton est pourtant dommageable, mais inspire tout de même à Gomes un mélange de pages introspectives (à commencer par le tout début de l’ouvrage, étonnamment retenu) et de scènes plus flamboyantes, ensemble non dénué d’intérêt sinon convaincant de bout en bout. Le compositeur se situe à l’évidence entre le grand opéra post-verdien (l’acte II, avec sa comtesse de Boissy mi-Marguerite, mi-Eboli, ses jardins mondains et son nœud dramatique, n’est pas sans rappeler Don Carlos) et la Jeune École italienne, mêlant souffle et délicatesse, naturalisme des accents et liquidité formelle.

Après sa disparition du répertoire, l’ouvrage fut tardivement redécouvert (Belém, 1999). La production de Cagliari lui offre une scénographie assez spectaculaire (champs de canne à sucre, esclaves vêtus de fibres et de feuilles, Portugais en vêtements d’apparat militaire ou civil, lumières soignées) mais une mise en scène aux idées courtes et à la direction d’acteurs très limitée. John Neschling porte les phalanges de Cagliari à un résultat fort honorable et qui témoigne d’une fine préparation, mais la satisfaction est moins au rendez-vous côté solistes. Svetla Vassileva sert Ilàra selon son habitude : investissement expressif réel, mais moyens vocaux abîmés (le vibrato est envahissant, les raucités, désagréables, la justesse, en défaut) et en partie insuffisants (les graves). Pisapia chante Américo (tantôt clair et presque étroit, tantôt plus charnel) plutôt qu’il ne l’interprète, théâtralement indifférent et lui aussi parfois égaré dans son intonation. Les clés de fa paraissent plus fermes : en premier lieu l’Iberè mâle et plein d’Andrea Borghini, sans faille et magistral dans ses interventions ; mais aussi le Gianfèra « mauvais » de Daniele Terenzi, le Rodrigo d’autorité (mais si peu menaçant !) de Dongho Kim. La Comtesse d’Elisa Balbo passe les écueils de son rôle aussi brillant que nourri, un rien en force parfois. Une assez correcte version vidéographique d’attente.

Chantal Cazaux