Robin Adams (Renald Dubois), Sophie Gordeladze (Gabriele), Uwe Stickert (le comte Armand), Hilke Andersen (la Prieure), Andries Cloete (le Vieux Comte), Jordan Shanahan (Nicolas), Ludovica Bello (la comtesse Morvaille), Todd Boyce (un Garde-Chasse, l’Aubergiste), Michael Feyfar (un Garçon jardinier, le Tribun, Premier Chasseur), Jinsook Lee (Première Nonne), Vilislava Gospodinova (Seconde Nonne), Andres Del Castillo (le Commissaire), Carl Rumstadt (Second Chasseur, un Soldat), David Park (un Policier), Samuel Thompson (un Sergent), Carlos Nogueira (un Parisien), Bareon Hong (une Voix). Orchestre symphonique de Berne, dir. Mario Venzago (live, Théâtre de Berne, 2 juin 2018).
CD Claves 50-1902- 04. Notice et synopsis en allemand et anglais. Livret en allemand. Distr. DistrArt Musique.

 

C’est le dernier opéra d’Othmar Schoeck, créé à Berlin en 1943, dans des conditions qu’on imagine. Tiré d’une nouvelle d’Eichendorff, ce Château Durande ne s’imposa jamais, même si Gerd Albrecht tenta de le réhabiliter en 1993. Voici l’histoire de la haine d’un frère qui veut se venger de celui qu’il croit être le séducteur de sa sœur, en réalité son maître, le comte Armand, à l’époque révolutionnaire : quand il les retrouve et prend conscience de leur amour, il met le feu au château qui vient d’être déclaré bien national – la haine est aussi haine de classe. Un remake de la fin du Crépuscule des dieux ? Après le Liebestod des deux amants, elle tuée par les insurgés, lui par le jaloux…

L’œuvre péchait par le livret, que Schoeck d’ailleurs a parfois modifié. La Haute École des arts de Berne a entrepris de le réviser, pour l’épurer des connotations idéologiques dues à la plume de Hermann Burte, un nazi de la première heure. Francesco Micieli a ainsi réécrit certaines parties du texte en se référant davantage à Eichendorff et Mario Venzago adapté la musique. Qui n’en saurait rien n’y verrait que du bleu. Cela n’en pose pas moins un problème : même avec des relents douteux, l’œuvre n’appartenait-elle pas à l’Histoire ? Si l’on se mettait à retoucher tous les livrets suspects… Les laisser tels quels ne signifie aucunement adhérer à l’idéologie qu’ils peuvent véhiculer.

On se laisse en tout cas séduire par cette musique très post-wagnérienne, au lyrisme généreux mais rien moins que pesant, par ses combinaisons de timbre, par son mélange de clarté et de densité – Schoeck, fidèle à la tonalité, même élargie, peut figurer à côté d’un Schreker ou d’un Zemlinsky. C’est ce qu’a perçu Mario Venzago, qui dirige en souplesse et en nuances, sans éluder la tension dramatique. Belle distribution, très homogène, avec la touchante Gabriele de Sophie Gordeladze, dont le phrasé séducteur et les aigus pianissimo rachètent la pointe d’acidité du timbre, parfois certes un peu légère pour le rôle, comme le très stylé Armand d’Uwe Stickert, qu’on a plutôt entendu en ténor de grand opéra historique, contraint à forcer un peu ses moyens quand la tessiture se tend. Robin Adams, timbre mordant, a la haine chevillée à la voix. Rôles secondaires plutôt de bonne tenue, avec, entre autres, le Nicolas imposant de Jordan Shanahan, le serviteur fidèle, le ténor aigu Michael Feyfar en Tribun. Il vaut la peine de découvrir ce Château Durande… que traversent ici ou là quelques mesures de la Marseillaise.

Didier van Moere