Karina Gauvin (Olimpie), Kate Aldrich (Statira), Mathias Vidal (Cassandre), Josef Wagner (Antigone), Patrick Bolleire (L'Hiérophante, Un Prêtre), Philippe Souvagie (Hermas), Choeur de la radio flamande, Le Cercle de l'Harmonie, dir. Jérémie Rhorer (2016).
Livre-disque Palazzetto Bru Zane 20. Notice et livret en français et en anglais. Distr. Outhere.

Plus encore que La Vestale, c’est à l’écoute de cette Olimpie, tragédie lyrique de 1819 (plusieurs fois révisée jusqu’à cette version finale de 1826 enregistrée ici) que l’on comprendra le mieux l’admiration que Berlioz vouait à Spontini et l’influence qu’il a exercée sur lui. Le compositeur italien y réalise dans un langage très personnel la synthèse entre l’héritage gluckiste, dont il reprend le goût pour les grandes scènes chorales d’inspiration religieuse, et celui de l’opéra révolutionnaire dans des ensembles survoltés où les sentiments contradictoires des protagonistes s’expriment avec une incroyable violence. L’exemple le plus frappant en est le finale du deuxième acte où Statira, veuve du grand Alexandre, qui vient de retrouver sa fille Olimpie dans la jeune Arzane, croit reconnaître l’assassin de son époux dans l’amant de celle-ci, Cassandre, et s’oppose à leur mariage. La parenté entre Spontini et Berlioz est flagrante aussi dans le choix d’un sujet entre histoire et légende comme dans l’écriture vocale. Les duos, et en particulier celui d'Olimpie et de Cassandre au premier acte, évoquent à s'y méprendre le style des Troyens, de même que l'orchestration très originale qui fait la part belle aux vents et porte en grande partie le discours dramatique, comme dans le finale extrêmement élaboré et spectaculaire du premier acte où s'opposent deux chœurs et deux directions dramatiques opposées.

Surtout, Spontini, s’il sacrifie encore dans certains airs aux modèles de la tragédie lyrique réformée, intègre les numéros de la partition dans un continuum musical et une construction en tableaux qui annoncent déjà le grand opéra. Sa liberté dans le récitatif, son invention mélodique et des transitions aussi inattendues que risquées compensent largement certains archaïsmes et quelques lourdeurs dans les scènes plus décoratives qui donnent le cadre. Si la tension faiblit un peu au troisième acte, il faut en accuser cette énième révision due à E.T. A. Hoffmann qui édulcore le livret original, inspiré d’une tragédie de Voltaire où pratiquement tous les protagonistes se suicidaient les uns après les autres, au profit d'un lieto fine de pure convention, guère plus improbable que le reste de l’intrigue.

Il fallait un chef de la trempe de Jérémie Rhorer, frotté de culture classique mais visiblement attiré par le romantisme naissant, pour restituer à cette partition sa grandeur et sa puissance dramatique, même si on peut lui reprocher un rien trop d'énergie et de volume sonore dans les ensembles. On se souviendra qu'il s'était essayé en 2013 dans une production malheureuse de la célèbre Vestale où sa direction faisait partie des rares éléments à sauver. Il est servi par un plateau de haut niveau parfaitement francophone dont se détache particulièrement la Statira véhémente de Kate Aldrich, dont l‘engagement n'est pas loin de voler la vedette au rôle-titre pourtant excellemment incarné par Karina Gauvin, suave dans son personnage de victime. En Cassandre, Mathias Vidal n’a peut-être pas exactement l’étoffe vocale d’un rôle conçu pour un ténor lyrique comme devait l’être le grand Nourrit mais il en assure les exigences avec probité. La basse sombre de Josef Wagner apporte tout le relief souhaité au rôle de traître d’Antigone, tandis que Patrick Bolleire prête son imposante stature au grand prêtre (l’Hiérophante), maître de cérémonie et arbitre lointain de ces démêlés auxquels la religion antique prête son décorum. Ajoutons un chœur exemplaire et un orchestre à la hauteur de l’enjeu qui font de cet enregistrement la tentative de résurrection la plus cohérente et la plus idiomatique - une première l'avait précédée en 1984 - d'un opéra passionnant jusque dans ses contradictions stylistiques, et qui devrait constituer une étape essentielle dans la redécouverte et la réévaluation d'un compositeur aussi célèbre que méconnu et dont l'importance historique est largement sous-estimée.

Alfred Caron