Caroline Mutel (Vénus, Olimpia, Roxane, une Musicienne), Isabelle Druet (la Discorde, Doris, Zaïde), Heather Newhouse (Céphise), Anders J. Dahlin (Philène, Dom Pedro, Octavio), Nicolas Courjal (Silvandre, Dom Carlos, Zuliman), Jérémie Delvert (Le Bostangis), Les Nouveaux caractères, dir. Sébastien d’Hérin.
Château de Versailles 002 (2 CD). 2018. 2h04’. Notice en français. Distr. Outhere.

 

Aussi étonnant que cela paraisse, le célèbre premier opéra d’André Campra n’avait jamais été enregistré, Gustav Leonhardt n’en ayant gravé que des extraits, en 1973. Pourtant, et même si la notice de Thomas Soury relativise justement cette appellation, L’Europe galante (1697) est bien l’initiateur du genre de l’ « opéra-ballet », le modèle des grands ballets ramistes et, particulièrement, des Indes galantes. Le public du temps semble ne pas s’y être trompé, Cahusac, futur librettiste de Rameau, écrivant alors : « L’Europe galante est le premier de nos ouvrages lyriques qui n’a point ressemblé aux opéras de Quinault.» Il fallait en effet une certaine audace pour porter au théâtre cette succession de quatre tableautins dont les (minuscules) intrigues indépendantes ne mettent plus en scène des dieux ou héros antiques mais des « Européens » contemporains de leur public. Seul le prologue allégorique, dont les protagonistes (Vénus et la Discorde) reviennent en épilogue, fournit une sorte de caution mythologique et assure le lien entre les quatre « entrées ».

Pour son premier essai, Campra ne se montre pas aussi également inspiré qu’il le sera au siècle suivant. Il se fit d’ailleurs aider de son cadet André Cardinal Destouches, à qui l’on doit certains des plus beaux airs de la partition (« Paisibles lieux » de Céphise), et qui devait créer quelques jours plus tard, au cours de ce même mois d’octobre 1697, sa délicieuse Issé (dont on espère qu’elle sera enregistrée par l’Ensemble Les Surprises, qui l’a exhumée cet été). Si le prologue, « La France » et « L’Italie » connaissent des baisses de tension, la veine lyrique de Campra s’épanouit à ravir dans « La Turquie » (incluant une cérémonie turque cousine de celle du Bourgeois gentilhomme de Lully) et, surtout, dans « L’Espagne », baignant dans une sublime atmosphère nocturne que rendent parfaitement Les Nouveaux caractères. Bel orchestre expressif que celui de Sébastien d’Hérin, excellent continuo, surtout, à l’élasticité rythmique jamais prise en défaut, et direction tenue, parfois un peu pressée (le duo des Grâces, les chaconnes en rondeau), souvent juste (la passacaille et le divertissement turcs).

Le chœur de dix-huit solistes manque pour sa part de transparence (fin du prologue) et si la distribution vocale brille uniformément par son élocution (que de progrès a-t-on fait dans ce domaine, en trente ans !), elle n’est pas non plus sans faiblesses. On regrette notamment que d’Hérin continue à confier les plus longs rôles à la voix mal posée de Caroline Mutel (Vénus et Musicienne instables), tandis que le timbre un peu vert de Heather Newhouse nous ravit moins que son phrasé. Anders Dahlin se montre toujours brillante haute-contre, et suave Dom Pedro, mais son médium est trop plat pour servir la jalousie d’Octavio ; quant à la belle voix de basse de Nicolas Courjal, elle s’est certes alourdie depuis qu’il chante Verdi et Moussorgski, mais n’en reste pas moins éloquente dans la déclaration de Zuliman à Zaïde. Bravo enfin à Isabelle Druet, Discorde idéalement tranchante et Doris bouleversante, et au baryton Jérémie Delvert dans le rôle bref mais tonique du Bostangis. Une entrée réussie au catalogue !

Olivier Rouvière