Un film de Tom Volf, 2017.
DVD Blaq Out. Distr. Blaq Out.

La personne de Tom Volf s’est soudain imposée dans le paysage callassien l’an passé, lors du 40e anniversaire de la disparition de l’artiste : la même année, le projet Maria by Callas (www.mariabycallas.com) de ce fan passionné devenu collectionneur d’archives réunissait la publication de deux livres (Maria by Callas, en anglais, chez Assouline, et Callas Confidential, en français, aux éditions de La Martinière ; un troisième est toujours annoncé chez Albin Michel : Maria Callas. Lettres et Mémoires inachevés), la supervision d’une exposition (présentée à la Seine Musicale à l’automne 2017) et la réalisation de ce film.

On aura beau jeu de pointer comme une lacune l’orientation assumée de ce documentaire : puisqu’il s’agit ici de n’utiliser strictement comme matériau que des images de l’artiste (en scène, en interview et en privé) et, mieux encore, ses seuls propos (dits par elle-même ou bien issus de sa correspondance – ils sont alors lus par Fanny Ardant, pour cette version française, ou Joyce DiDonato pour l’édition anglo-saxonne du DVD), on ne trouvera certes pas ici de développement technique ou esthétique sur son chant et son jeu, sur la déflagration qu’ils constituèrent lors de leur irruption dans le « paysage lyrique » mondial et la fascination qu’ils continuent de susciter encore aujourd’hui à la moindre milliseconde entendue de sa voix. Non, c’est à la femme plus qu’à l’artiste que s’attache ici Tom Volf, mais on ne lui en tiendra pas rigueur.

Non seulement parce que le destin humain de Maria Callas est propre à captiver en soi : cette icône brisée par la vie et les passions malheureuses fut aussi la victime du star-system, à l’instar d’une Marilyn Monroe et dans des proportions parfaitement comparables – rapprochement que Tom Volf ne verbalise jamais mais qui s’impose d’évidence. Trois ans seulement séparaient d’ailleurs Sophia Cecilia (née en 1923) de Norma Jeane (1926), devenues idoles absolues de leur univers professionnel, honnies pour les mêmes mauvaises raisons – les retards de l’une, les annulations de l’autre –, chacune cachant une fleur-bleue sous la stature importable d’une adoration excessive, chacune énamourée d’une trop stratégique « étoile » – deux hommes que le destin d’ailleurs rapprochera aussi, Onassis devenant le second époux de la veuve Kennedy. En outre, la rareté des archives exhumées, la pertinence de leur montage, la délicatesse mise à ne jamais interrompre les (rares) extraits chantés proposés, tout provoque une émotion réelle, poignante même. On se plaît parfois à décrire la magicienne cantatrice comme l’autre facette d’une femme qui, en privé, se réduisait à une petite-bourgeoise aux horizons restreints. Les mots sont au contraire ici ceux d’une dignité rare et profonde, jusque dans la blessure, qu’elle soit professionnelle ou sentimentale. Callas avait modelé son apparence, corps et look, sur l’idée de beauté classique qui devait servir son jeu de tragédienne ; ce film nous révèle qu’elle en avait aussi l’héroïsme intime, celui qui fait mourir de chagrin les personnages d’opéra – ou brise le cœur, au sens propre, des divas trop humaines.

Chantal Cazaux