Sandrine Piau (Dido), Carmen Fuggiss (Selene), Markus Schäfer (Osmida), Thomas Mohr (Iarba), Barockorchester und Kammerchor Stuttgart, dir. Frieder Bernius.
CD Carus 83.280 (1 CD). 1997. 53’. Notice en anglais, allemand.


D’Ignaz Holzbauer (1711-1783), on connaissait Il figlio delle selve (1753), fable musicale ressuscitée en 2005 à Montpellier par Christoph Spering et, surtout, l’imposant Günther von Schwarzburg (1777), enregistré par Michael Schneider chez CPO en 1994. Après avoir connu la classique vie d’errance des compositeurs du premier XVIII° siècle et écrit dans le style ultramontain standard alors répandu de Saint-Pétersbourg à Lisbonne, Holzbauer obtint en 1753 le poste de maître de chapelle de la cour de Mannheim, qui entretenait l’un des meilleurs orchestres d’Europe – son écriture s’enrichit alors d’un fort sentiment « national ». Avec Günther von Schwarzburg, tantôt dénommé Singspiel, tantôt deutsche Oper, il donnait, à soixante-cinq ans, l’exemple d’un ouvrage entièrement chanté en allemand et dans un style spécifique, qui impressionna fort le jeune Mozart. Holzbauer alla encore plus loin dans l’expérimentation durant les deux années suivantes : il commença par réduire à un seul acte la très célèbre Didone abbandonata (1724) de Métastase, pour en faire une sorte de vaste cantate scénique en italien, avant de traduire le tout en allemand (1779). Le drame se resserre désormais autour de quatre personnages – Didon, sa sœur Séléné, son ministre Osmida et le Numide Iarbas, qui convoite la main de la reine de Carthage ; le héros Énée, qui était au cœur de la source virgilienne, ne paraît plus. Si la musique de Holzbauer reste attachée au style galant dans les airs (qui contournent le da capo), elle penche vers le Sturm und Drang – celui des fils de Bach et de Benda – dans les amples récitatifs accompagnés, et dans l’ouverture programmatique dont les thèmes réapparaissent au fil du Singspiel. On ne criera pas au génie mais l’originalité est indéniable. Elle est bien mise en valeur par Bernius, infatigable défricheur du répertoire allemand préclassique, dont l’orchestre séduit davantage par ses sonorités que par son phrasé, peu lyrique. On notera l’efficace mais brève incursion du chœur masculin de Stuttgart. Lumineuse, souple, plus mozartienne que jamais, Sandrine Piau campe une Didon aussi digne qu’écorchée vive, même si elle peine un peu dans le grave en fin de parcours. On en dira autant du baryton Thomas Mohr, confronté à une tessiture qui tient davantage de la basse, tandis que c’est plutôt l’aigu, assez pincé, qui pèche chez la soprano Carmen Fuggiss et que le ténor Markus Schäfer fait preuve de son habituelle élégance un peu molle – remarquons que Holzbauer ne ménage pas ses interprètes, lesquels n’ont qu’un air chacun pour se faire valoir en affrontant un orchestre dense et, pour Séléné, de périlleuses acrobaties vocales. Une question, pour finir : pourquoi cet enregistrement sortant des sentiers battus a-t-il mis dix ans à paraître ?...

Olivier Rouvière.