Matija Meic (Carlo d’Anjou), Cesar Arrieta (Alphonse Drouet), Danilo Formaggia (Conte di Fondi), Silvia Della Benetta (Eleonora), Sara Blanch (Aurelia), Ana Victoria Pitts (Albino), Carlos Natale (Guillaume l’Etendart, Visconte Vernazzo), Dario Russo (Procida), Damian Whiteley (Marche,Carciere), Daniele Caputo (Bellecour), Sara Baneras (Celinda), Gheorge Vlad (Sanseverino), Marco Simonelli (Ruffo), Camerata Bach de Poznan, Virtuosi Brunensis, dir. Federico Longo (live, Bad Wildbad, juillet 2015).
CD Naxos 8.660440-43. Distr. Outhere.

Découverte du Festival Rossini in Wildbad 2015, Il vespro siciliano, opéra en quatre actes avec ballet obligé de Peter Joseph von Lindpaintner (1791-1856) sur un livret original allemand de Heribert Rau (ici dans une traduction italienne contemporaine), a été créé en 1843 au Königliches Hoftheater de Stuttgart. Il nous révèle un compositeur d’un certain relief dont on s’étonne qu’il ait été à ce point oublié malgré ses vingt et un opéras et sa notoriété d’alors, considéré comme un des meilleurs chefs d’orchestre de sa génération.

La parenté avec l’opéra homonyme de Verdi est assez lointaine. La lutte entre les Siciliens et l’occupant français fait plutôt office d’arrière-plan que de moteur de l’action et le nœud de l’intrigue repose sur l’opposition entre Fondi et Drouet, deux favoris de Charles d’Anjou. Le premier, un noble Sicilien, a osé enlever au roi la femme qu’il désirait et l’a épousée ; c’est en prenant sa défense contre la tyrannie que la révolte des Siciliens éclatera finalement. Le modèle est d’évidence le grand opéra à la Meyerbeer, notamment Les Huguenots, auxquels la première scène de l’acte II et quelques autres plus ou moins réussies ne manquent pas de faire penser, de même que la construction en grands tableaux et l’intercalation de scènes plus « légères » et de personnages de demi-caractère (le page Albino ou la suivante Aurelia), au milieu d’une intrigue très sombre.

La maîtrise des scènes d’action et le registre patriotique ne sont pourtant pas vraiment le point fort de Lindpaintner, comme le prouvent le premier et le dernier tableau, assez rudimentaires et peu convaincants ; c’est plutôt dans le registre mélodramatique que son originalité et son talent se révèlent pleinement. Sa veine mélodique trouve à s’épanouir dans les passages les plus lyriques (romances, ballades, cavatines) comme dans tout ce qui met en scène les deux époux secrets. Son goût pour la vocalité le rapproche souvent de Donizetti auquel son écriture fait penser, avec des airs et des ensembles qui exigent souvent des interprètes une authentique virtuosité belcantiste. Le compositeur possède en outre un sens très fin de l’orchestration qui suffit parfois à rehausser une inspiration musicale un peu défaillante. Il permet de donner à chaque scène sa tonalité exacte grâce à de belles introductions, et une unité dramatique à un scénario assez dispersé.

Pour cette ambitieuse résurrection (trois heures trente de musique malgré quelques coupures, six rôles de premier plan et autant de personnages secondaires), Bad Wildbad avait réuni une équipe de haut niveau mélangeant solistes de renom et élèves de son académie. On distinguera particulièrement le baryton sombre et superbement timbré de Matija Meic dans le rôle de l’autoritaire Charles d’Anjou, l’Eleonora stylée et brillante de Silvia Della Benetta, la prometteuse Ana Victoria Pitts, mezzo colorature, dans le rôle travesti d’Albino et l’imposante basse de Dario Russo dans le rôle secondaire de Procida. Le beau ténor lyrique de Danilo Formaggia paraît parfois en difficulté face à la tessiture un peu tendue de Fondi. Le reste de la distribution donne beaucoup de présence aux multiples personnages secondaires, avec une mention particulière pour le ténor Carlos Natale qui double sa performance en Etendart et en Vernazzo. La riche orchestration sollicite abondamment les cuivres et la partition, par ses dimensions mêmes, constitue une véritable épreuve de force. Federico Longo mène cette résurrection exigeante de main de maître et avec une énergie qui ne faiblit jamais, faisant oublier quelques scories du côté de l’orchestre ou des chœurs, dues aux conditions d’un enregistrement réalisé sur deux concerts.

S’il n’est pas question de crier au chef-d’œuvre méconnu, cet ouvrage ne constitue pas moins une redécouverte majeure pour l’histoire de l’opéra allemand et suscite la curiosité quant au reste de l’œuvre de ce Lindpaintner, talent ignoré.

A.C.