George Gagnidze (Nabucco), Rubens Pelizzari (Ismaele), Rafal Siwek (Zaccaria), Susanna Branchini (Abigaille), Nino Surguladze (Fenena), Nicolo Ceriani (le Grand Prêtre de Baal), Paolo Antognetti (Abdallo), Elena Borin (Anna), Chœur et Orchestre des Arènes de Vérone, dir. Daniel Oren, mise en scène : Arnaud Bernard (Vérone, août 2017).
DVD BelAir classiques BAC148. Notice et synopsis quadrilingue dont français. Distr. Outhere.

Succédant à la mise en scène de Gianfranco de Bosio, de longue date installée à Vérone, les Arènes accueillaient en 2017 une nouvelle proposition scénique d’Arnaud Bernard, laquelle fit mouche : la transposition de Nabucco en plein Risorgimento non seulement fonctionne mais fait naître un réseau de correspondances pertinentes, sans se priver d’effets spectaculaires (on est quand même à Vérone !) dont l’impact visuel est toujours nourri d’une épaisseur sémantique réelle. Les Hébreux esclaves des Babyloniens ? Les Milanais des Cinque Giornate de mars 1848, combattant le joug des Autrichiens pour rendre à l’Italie (en germe) sa liberté. Nabucco a les bacchantes et le costume de François-Joseph Ier, quand Zaccaria prend les traits de Giuseppe Mazzini, barbe et haut front dégarni surplombant une lavallière tricolore. Au centre de la scène… le théâtre de La Scala, d’abord dans le rôle du temple de Salomon pris par Nabucco (combats de rue à l’appui) puis dans celui du nouveau palais du pouvoir babylonien ; au III, pivotant sur lui-même, le superbe décor d’Alessandro Camera révélera même au public son antre, une salle illuminée en pleine représentation : dans les loges et au parterre, les Autrichiens(-Babyloniens) en majesté ; sur la scène, les Italiens(-Hébreux) interprétant le chœur des Esclaves, désormais costumés à l’antique. Toute la fin de l’opéra jouera du hiatus entre les acteurs et leur public, lequel assiste, médusé, à l’apothéose exaltée des personnages de Verdi débordant le plateau pour envahir la salle. Arnaud Bernard revendique l’hommage au Senso de Visconti, qui montrait le Risorgimento s’inviter dans une représentation du Trouvère à La Fenice de Venise ; comment ne pas être saisi ici par le souffle de l’Histoire qui rattrape un ouvrage qui a lui-même contribué à la faire ? Rappelons que Nabucco fut créé en 1842 dans ce « temple » de l’opéra italien qu’est La Scala, et fit de Verdi (plus ou moins malgré lui) le fer de lance du patriotisme italien. Tout fait donc sens ici, très soigneusement travaillé (les costumes, signés du metteur en scène, sont dignes du grand cinéma historique), éclairé (Paolo Mazzon trouve des lumières crépusculaires très évocatrices), agencé (les foules de figurants – peuple en détresse, soldats à l’assaut, chevaux ! – sont mobiles et plutôt concernées, et la perspective s’élargit jusqu’aux gradins de lointain où surgissent explosions et défilés) et même filmé (gageons que la vidéo d’Andy Sommer dévoile plus de détails que le spectateur véronais ne put en saisir, d’autant que les caméras s’aventurent au cœur de l’action).

Sous la direction d’un Daniel Oren tout à son affaire in loco, les interprètes sont hélas trop souvent loin de l’irréprochable, y compris les chœurs vaillants (nombreux !) mais peu stylistes. Pourtant solide et de noble prestance, Rafal Siwek (Zaccaria) reste bien charbonneux ; panache au vent mais moyens un peu courts, Rubens Pelizzari est un Ismaele sans charisme profond. Susanna Branchini (Abigaille) insupporte dès sa première intervention par un chant dur et ou outré et un vibrato hululant ; malgré un abattage certain et des aigus crânement assumés, elle expose un bas-médium usé, condamnée à écraser ses sons de poitrine. Seule sa dernière scène, l’éloignant d’un expressionnisme excessif pour la porter à un pathos plus digne et soigneux, nous réconcilie avec elle. En comparaison, on préfère le chant voluptueux et flamboyant, mais toujours stylé et bien tenu de Nino Surguladze (Fenena). Quant à George Gagnidze (Nabucco), il apparaît d’abord bien contraint voire timide mais investit peu à peu son personnage d’une aura réelle, tant dans sa folie mégalomaniaque que dans sa douleur paternelle, avec des accents d’un éclat certain. Malgré ces quelques réserves musicales, on ne saurait passer à côté de cette captation vidéo qui documente une production ayant su renouveler tant le genre « Nabucco » que le genre « Arènes de Vérone », aussi intelligemment que spectaculairement.

C.C.