Piotr Beczala (le prince Sou-Chong), Julia Kleiter (Lisa), Rebeca Olvera (Mi), Spencer Lang (le comte Gustav von Pottenstein), Cheyne Davidson (Tschang), Martin Zysset (le Chef des eunuques), Chœur et Orchestre de l’Opéra de Zurich, dir. Fabio Luisi, mise en scène : Andreas Homoki (Zurich, juin 2017).
DVD et BR Accentus music ACC20435. Distr. Harmonia Mundi.

Familier du prince Sou-Chong, Piotr Beczala a non seulement enregistré l’intégrale du Pays du sourire à Munich en 2006 sous la direction d’Ulf Schirmer (cpo), mais consacré six ans plus tard un disque (DGG) au créateur du rôle, le fameux ténor Richard Tauber. Dans cet album intitulé précisément Heart’s Delight, il ouvrait et terminait son récital avec l’air le plus célèbre de l’œuvre, d’abord chanté en anglais (« You are my Heart’s Delight »), puis en allemand (« Dein ist mein ganzes Herz »). Écho de représentations données à l’Opéra de Zurich en juin 2017, ce DVD le trouve très en voix, attentif à conférer la dose exacte de sentimentalité et parfaitement juste dans son incarnation du jeune homme tiraillé entre son amour pour sa belle Occidentale et le respect des valeurs ancestrales de la Chine. On croit véritablement au drame de cet être prisonnier de traditions séculaires et qui s’efforce toujours de conserver le sourire malgré la douleur qui l’étreint. Soprano au chant solide quoique parfois un peu sous tension, Julia Kleiter est une Lisa volontaire, qui n’hésite pas un instant à tout quitter pour suivre Sou-Chong, mais qui se révolte rapidement devant les usages orientaux. Rebecca Olvera est quant à elle adorable en princesse Mi émancipée, voix fruitée et jeu délicieusement primesautier, tandis que Spencer Lang interprète un Gustav très digne après avoir été éconduit par Lisa, puis régénéré par son nouvel amour. Excellente performance des chœurs, qui évoluent de surcroît avec la précision et la grâce d’un corps de ballet. Dans la fosse, Fabio Luisi et sa phalange prennent un plaisir manifeste à se couler dans l’univers caressant de Lehár et à évoquer une Chine fantasmée dont certaines couleurs orchestrales se rapprochent par moments de Puccini – outre l’amitié entre les deux compositeurs, rappelons que Turandot fut créée à peine trois ans avant Le Pays du sourire (1929).

La mise en scène d’Andreas Homoki prend place dans un sobre décor Art déco composé essentiellement d’un grand escalier qui se déplace entre jardin et cour selon les tableaux et dont les deux volées enserrent une énorme colonne, symbole éloquent des différences culturelles entravant le rapport entre Sou-Chong et Lisa. Un soin particulier a été accordé aux costumes, aux coupes élégantes et aux étoffes chatoyantes. Mi et ses compagnes traduisent de belle façon leur désir de se moderniser lorsqu’elles retirent leur austère vêtement foncé et leur chapeau pointu pour apparaître dans une seyante tenue de tennis d’un blanc éclatant. Homoki sait merveilleusement utiliser les chœurs et leur faire jouer de l’éventail, en particulier dans la somptueuse cérémonie de la tunique jaune qui, curieusement, est ici placée à la fin du premier acte et non pas au début du second. En dépit d’une direction d’acteurs d’une grande justesse, il ne peut malheureusement pas donner une substance dramatique à ce qui en a été privé : en effet, cette version passe presque complètement à la trappe tous les dialogues, choix désolant qui fait en sorte que la trame en devient quasiment incompréhensible et la psychologie des personnages à peine esquissée. N’eût été cette importante réserve, la production et sa captation auraient pu se voir attribuer la Révérence...

L.B.