Francesco Meli (Carlo VII), Anna Netrebko (Giovanna), Carlos Álvarez (Giacomo), Dmitry Beloselskiy (Talbot), Michele Mauro (Delil), Chœur et Orchestre du Teatro alla Scala, dir. Riccardo Chailly, mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser (Milan, 23 déc. 2015).
DVD Decca 074 3967. Notice et synopsis en angl. Distr. Universal.

En décembre 2015, cette Giovanna d’Arco constituait la première production d’ouverture de saison de Riccardo Chailly, nouveau directeur de La Scala depuis quelques mois – dont la première montée au pupitre ès qualités avait été une Turandot remarquée (et captée) au printemps précédent. Elle marquait également le retour in loco d’une œuvre qui avait précipité la brouille entre Verdi et le théâtre milanais : depuis sa création en 1845, l’ouvrage n’y avait pas reparu (!). Attente plurielle donc, et largement comblée.

D’abord par la rutilance d’une distribution superbement verdienne. Si l’élargissement que l’on sait de la voix d’Anna Netrebko lui rend désormais moins maniables les moments les plus fleuris du rôle (qu’elle avait abordé en concert à Salzbourg, deux ans plus tôt), il sert en revanche la tessiture longue du personnage, sa profondeur généreuse comme son exaltation brillante ; les couleurs chaudes et moirées, le galbe voluptueux du phrasé sont idiomatiques, du grave sans écrasement à l’aigu impérieux, et l’art de la nuance est bien là, sachant flotter, varier, suspendre. Le tout serait parfait… s’il ne s’accompagnait de cette intonation souvent haute qui est un trait regrettable de l’artiste et d’une élocution très avalée par le son. Face à elle, Francesco Meli s’avère admirable : les moyens, nourris, ne sont jamais forcés, le timbre conjugue cuivre, rondeur et souplesse – et une dignité stylistique comme on en entend rarement ! –, le panache verdien s’allie à l’élégance belcantiste pour constituer un Carlo idéal, auquel on rêverait seulement plus de flamme interprétative – à sa décharge, notons que le rôle n’est pas le plus passionnant chez Verdi et que la mise en scène, en le réduisant à l’état d’icône fantasmatique (il apparaît passé à la peinture d’or de la tête aux pieds, armure comprise), ne l’aide pas à s’incarner. Pour compléter le trio de protagonistes, Carlos Álvarez (qui, souffrant, avait été remplacé pour les premières représentations de la série) est ici à son meilleur : le chant en impose, aussi mordant que phrasé, riche d’une longue carrière verdienne qui permet une intimité évidente du mot et du son, tout comme de l’interprétation de ce père douloureux, cruel en sa trahison, poignant en son remords. Seul Dmitry Beloselskiy paraît moins en situation, un peu court de graves pour Talbot.

Tous sont portés par la direction d’une très grande hauteur de vue de Riccardo Chailly : les tempi sont toujours justes, d’une grande maîtrise dans la vivacité, d’une architecture noble dans l’alanguissement ; les coloris, qu’ils soient de fresque ou de solistes (le violoncelle et le hautbois de « Chi più fedele amico » !), offrent une riche palette d’émotions et d’atmosphères, racontent et vous emportent sûrement dans l’opéra… mieux que la régie de Patrice Caurier et Moshe Leiser. Leur mise en scène réserve pourtant des moments visuellement forts, résultant d’ailleurs de leur parti pris de départ : le rideau se lève sur un intérieur bourgeois du XIXe siècle, chambre d’une Giovanna alitée (malade ? folle ? victime d’un père abusif ? Giacomo sera le seul à ne jamais se départir de son costume XIXe, à ne jamais quitter le « cadre » posé à l’action, contrairement à Giovanna qui empruntera à Carlo son armure ou au Chœur, tantôt traité en émanation médiévale, tantôt en observateur contemporain), laquelle hallucine les événements à venir. Le beau décor de Christian Fenouillat révèlera ainsi les chœurs en transparence puis des apparitions surgies du néant, allant du roi-« statue dorée » à la cathédrale de Reims, ou une apothéose finale mi-sulpicienne, mi-onirique. Mais l’ensemble du dispositif intellectuel reste plus contraignant que convaincant, fonctionnant assez bien pour les relations filiales Giovanna/Carlo mais largement moins pour l’aspect épique de l’intrigue. Pour une Révérence et une référence absolues, on en restera à la première version vidéographique dirigée par Riccardo Chailly : Bologne 1990 (DVD Warner), où la régie de Werner Herzog et Henning von Gierke était autrement prenante. Mais ne boudons pas notre plaisir face à une réalisation aux qualités musicales de tout premier plan. Un conseil toutefois : surtout, sautez le générique affreusement monté sur un pot-pourri inepte de thèmes de l’ouvrage, et allez directement à la plage sinfonia !

C.C.