Emily Magee (Salomé), Peter Bronder (Hérode), Michaela Schuster (Hérodias), Wolfgang Koch (Jochanaan), Benjamin Bruns (Narraboth), Claude Eichenberger (le Page). Orchestre radio-symphonique de Francfort, dir. Andrés Orozco-Estrada (live de l’Opéra de Francfort, 10 septembre 2016).
CD Pentatone PIC 5186 602. Notice bilingue (angl., all.), livret bilingue (all., angl.). Distr. Outhere.


Le problème de Salomé, c’est la richesse de la discographie. On vous citerait facilement dix versions incontournables. Mais qu’avons-nous eu depuis Christoph von Dohnanyi en 1994 ? Un des talentueux quadras de la direction d’aujourd’hui, Andrés Orozco-Estrada, ne relève pas le défi. Opter pour une certaine lenteur s’avère d’emblée dangereux. Cela crée sans doute une atmosphère de langueur et de moiteur décadentes, avec un raffinement certain des timbres et de jolis détails, une belle conduite de la polyphonie, mais la direction échoue à tendre l’arc de la tragédie, laissant parfois le sentiment d’une symphonie vocale… alors qu’il s’agit d’un live. Or le secret de Salomé réside dans l’équilibre entre les effets de couleur et l’urgence dramatique : on doit à la fois être grisé et pris à la gorge.

Vocalement, c’est honnête mais peu excitant. Emily Magee n’a ni les grâces adolescentes ni l’ascendant sulfureux de la petite princesse, avec une émission qu’il faudrait plus légère et des aigus qu’il faudrait plus sûrs : cette Salomé solide, assez mûre, assure sans fasciner. Solide aussi le Prophète de Wolfgang Koch, le hoher Bass attendu ici, au phrasé noble, pas vraiment fou de Dieu pour autant. Peter Bronder perpétue la tradition des Hérode assez bruts proches de Mime – un de ses grands rôles –, sans aménité dans le timbre, avec une tendance au Sprechgesang, marié ici à l’Hérodias assez plébéienne de Michaela Schuster. On a entendu des Narraboth et des Pages plus éperdus que Benjamin Bruns et Claude Eichenberger, mais le Premier Nazaréen de Sung Ha capte aussitôt l’attention. Une Salomé de répertoire, à laquelle manque le frisson des grands soirs ; certes portée par le bel orchestre de Francfort, mais cela ne suffit pas à entrer dans la discographie par la grande porte. Un DVD aurait peut-être convaincu davantage.

D.V.M.