Giulia De Blasis (Margherita), Arcangelo Carbotti (Edoardo), Anton Rositskiy (Lavarenne), Gaia Petrone (Isaura), Bastian Thomas Kohl (Riccardo), Laurence Meikl (Carlo), Marco Filippo Romano (Gamautte), Elena Tereshchenko (Gertrude), Lorenzo Izzo (Bellapunta), Dielli Hoxha (Orner), Massimiliano Guerrieri (Un officier). Orchestra Internazionale d’Italia, Chœur du Théâtre municipal de Piacenza, dir. Fabio Luisi, mise en scène : Alessandro Talevi (live, Martina Franca, 2017).
DVD Dynamic 37802. Distr. Outhere.

Meyerbeer, le retour en grâce. Outre Les Huguenots programmés un peu partout de par le monde, y compris (qui l’aurait cru ?) à l’Opéra de Paris, voici cette Marguerite d’Anjou, ressuscitée par le festival de la Valle d’Itria. Le quatrième des opéras italiens du compositeur, créé à La Scala le 14 novembre 1820, avait ensuite été donnée çà et là en Europe et, dans une version française remaniée, au théâtre parisien de l’Odéon dès 1826, avant de disparaître des affiches au milieu du XIXe siècle. Les discophiles conservent précieusement la version audio Opera Rara 2002 de cette rareté, qui réunissait autour de l’excellente Annick Massis rien moins que Daniela Barcellona et Bruce Ford. Nous étions curieux de retrouver cet opéra conçu avec la complicité du poète-librettiste Romani, à la pliure du style rossinien et du futur grand-opéra français, sous les atours scéniques que lui confère le jeune metteur en scène Alessandro Talevi, dont on connaissait un improbable Crispino e la comare des frères Ricci paru chez le même éditeur. La tâche est ici plus délicate encore, s’agissant d’une histoire très librement inspirée des péripéties de la Guerre des deux Roses qui opposa de 1455 à 1485 en Grande Bretagne les deux branche rivales des Plantagenêt, Lancaster et York. Au centre de cette guerre civile, Marguerite, veuve du roi Henri VI aspirant à reconquérir le trône pour son fils – ces deux commémorés par une statue dressée aujourd’hui encore au cœur du jardin parisien du Luxembourg. Le drame conjugue les tourments de cette femme se débattant pour préserver la vie et l’avenir d’un enfant menacé par des rivaux sur fond d’héritage paternel. L’intrigue se complique de la passion amoureuse d’un nommé Lavarenne, rôle dévolu à un ténor stratosphérique, épris de la reine et dont l’épouse légitime, travestie en page, épie jalousement les faits et gestes ! S’y ajoute le personnage bouffe de Gamautte, un chirurgien français jouant les intercesseurs.

C’est hélas l’importance démesurée accordée par le régisseur de ce spectacle à la composante drolatique et notamment à ce factotum qui ruine son propos théâtral. Que l’on transpose ce livret bancal dans l’univers d’une fashion week londonienne et ses luttes politico-familiales dans des rivalités entre créateurs de mode punk, génération no limits, la reine se la jouant top-modèle et son galant star de la pop, le tout sous la houlette d’un clown présentateur de télé-réalité, passe encore. Mais le transformer en mascarade repose sur un coupable contresens : celui consistant à traduire melodramma semiserio par opéra farcesque, quand l’étiquette, celle-là même dévolue à La gazza ladra ou à La sonnambula, ne désigne rien d’autre qu’un opéra à lieto fine, reprenant les structures de l’opera buffa au service d’une intrigue foncièrement dramatique. Sous prétexte de vouloir faire rire à tout prix et avec la caution revendiquée du recours à l’édition critique Ricordi, on détourne la lettre (incompréhensible pour l’auditeur) et l’esprit (avili par de grotesques gesticulations) de cette œuvre semi-sérieuse, riche d’un magistral trio de basses, d’un sextuor préromantique et de deux grandes arie (pour le ténor et la soprane).

C’est ainsi que, dans un décor par ailleurs déprimant de sombre laideur, devant un orchestre de troisième zone et des chœurs appliqués, Luisi ne tire pas grand-chose et s’évertue à servir une partition de belle encre avec un plateau décevant. En Reine (supposée) guerrière et tourmentée, Giulia De Blasis assure dignement, non sans tirer sur les deux bouts de sa tessiture, vocalisant a minima. Alors que les basses ont la couleur et le délié qui conviennent à cette écriture italianisante, le baryton bouffe Marco Filippo Romano, sans relief vocal particulier, en rajoute dans les contorsions suggestives. Le russe Rositskiy, crispé sur le micro factice dont on l’encombre, affronte crânement les assauts aigus d’une écriture post-rossinienne exacerbée, mais d’une voix peu séduisante et vite coincée dans lesdits aigus di forza. Seule à tenir vraiment son rang de mezzo belcantiste, l’impeccable Gaia Petrone, passée par le baroque mais dotée de beaux moyens lyriques, domine aisément l’ensemble en Isaura travestie, délivrant un rondo final de belle école. Elle seule en vérité honore la mémoire du grand Celletti, fondateur de ce Festival et vers qui vont nos pensées alors que ces représentations marquaient le centenaire de sa naissance.

J.C.