Anja Harteros (Sieglinde), Peter Seiffert (Siegmund), Georg Zeppenfeld (Hunding), Anja Kempe (Brünnhilde), Christa Mayer (Fricka), Vitalij Kowaljow (Wotan), Chirstina Bock (Waltraute), Johanna Winkel (Gerhilde), Alexandra Petersamer (Helmwige), Katharina Magiera (Schwertleite), Brit-Tone Müllertz (Ortlinde), Stepanka Pucalkova (Siegrune), Katrin Wundsam (Grimgerde), Simone Schröder (Rossweisse), Staatskapelle Dresden, dir. Christian Thielemann, mise en scène: Vera Nemirova (Salzbourg, 5-17 avril 2017).

DVD Cmajor A04050067. Distr. DistrArt Musique.

 

Salzbourg 1967 : Karajan mettait en scène Die Walküre, espérant créer une alternative décisive au Neues Bayreuth. Peine perdue : Günther Schneider-Siemssen lui offrit un décor si semblable à ceux du temple wagnérien qu’il le laissa en quelque sorte prisonnier de l’ombre de Wieland Wagner, le chef tentant de lui échapper par une direction d’acteurs où les émotions perçaient plus que les personnages, ce que les extraits captés dans le film de François Reichenbach laissent percevoir.

Cinquante ans plus tard, Salzbourg aura tenté de revisiter ce spectacle imparfait mais historique. On a reconstruit à l’identique les décors de la production originale, Jens Kilian en a modernisé parfois avec à-propos les costumes et remanié les éclairages, accentuant encore la stylisation de l’ensemble. Mais, les cahiers de la mise en scène de Karajan s’étant mystérieusement égarés, on y a invité un alien : Vera Nemirova entre dans cette vaste citation en s’essuyant les pieds dessus : Siegmund se fume une cibiche et Brünnhilde donne à Wotan son destrier… en bois. La banalité s’installe, la paresse règne, laissant les chanteurs désespérément seuls, les deux Anja tirant leur épingle du jeu avec une déconcertante facilité, comédiennes nées comme elles sont. Le tout se regarde pourtant ; on ne s’étonne plus guère même de voir Brünnhilde en tricot de peau pour l’endormissement final : l’intérêt est ailleurs.

Christian Thielemann, lui, a pris le projet au pied de la lettre et dirige sa Staatskapelle vif-argent et pourtant tonnante, la magnifie dans un hédonisme sonore qui rappelle justement Karajan, comme le fait également la distribution, pensée elle aussi lumineuse, voix plus fraîches et plus modelables que celles employées alors à Bayreuth. Il est pourtant encore un peu trop tôt pour les deux Anja. Harteros n’as pas absolument la plénitude vocale de Sieglinde, elle ne se brûle pas assez à l’acte I alors que Peter Seiffert s’y transcende, timbre assombri, « Wälse ! » immenses et vibrés comme des appels de cor jusqu’aux limites de la voix. Mais la tragédienne se révèle au deuxième acte, imparable ; alors la voix rayonne d’une beauté irradiante comme si y passait le souvenir de celle de Marjorie Lawrence. Anja Kempe aura laissé Sieglinde pour Brünnhilde elle aussi un rien trop tôt, non pas pour la voix – ses « Hojotoho » sont parfaits, dardés, solaires, et elle se transfigure à l’acte III. Mais son personnage, trop uniment du côté de la guerrière, de la visionnaire, manque d’humanité face à Wotan : la faute à Vitalij Kowaljow, paille de la soirée, qui chante terne et n’incarne jamais un personnage auquel on puisse répondre. Dommage, car tous, malgré les facilités de la régie, essayent de tirer de ce rêve archéologique un drame que l’orchestre leur commande d’empoigner. Ecoutez seulement.