Edgaras Montvidas (Dante), Véronique Gens (Béatrice), Jean-François Lapointe (Bardi), Rachel Frenkel (Gemma), Andrew Foster-Williams (l'Ombre de Virgile et un Vieillard), Diana Axentii (l'Ecolier), Andrew Lepri Meyer (un Héraut d'arme), Orchestre de la Radio de Munich et Chœur de la Radio bavaroise, dir. Ulf Schirmer (2016).

CD Ediciones Singulares / Palazzetto Bru Zane, vol. 16, série « Opéra français ». Distr. Outhere.

 

À l'exception de la touchante berceuse de Jocelyn (1888) qu'ont enregistrée de nombreux ténors comme Gigli, Björling, Gedda et Domingo, l'œuvre de Benjamin Godard (1849-1895) est tombée dans un oubli presque total. Et pourtant, le compositeur représenta un des grands espoirs de la musique française à partir de 1878, c'est-à-dire au moment de la création triomphale de sa symphonie dramatique Le Tasse. Sur la scène lyrique, il connut ses deux succès les plus retentissants avec Jocelyn puis La Vivandière (1893), tous deux créés à la Monnaie de Bruxelles. En 1890, c'est à l'Opéra-Comique, alors sis dans l'actuel Théâtre de la Ville, qu'il confia la création de Dante. Mal lui en prit, car la mise en scène fut jugée désastreuse : ayant dû renoncer à la dernière minute à des changements à vue spectaculaires, et devant l'accueil très réservé de la presse, la direction décida de retirer l'ouvrage après seulement onze représentations. Grâce au Centre de musique romantique française du Palazzetto Bru Zane, il nous est enfin possible de juger de la valeur de cette œuvre aux mérites certains.

Imperméable au wagnérisme qui déferlait sur la France à la fin du XIXe siècle, Godard se réclamait de Beethoven, Schumann et Mendelssohn, sans chercher aucunement à ce que sa musique sonne moderne. C'est ce que montre bien Gérard Condé dans son texte d'introduction et qu'illustre parfaitement une partition qui permet d'apprécier un don mélodique et un talent d'orchestrateur évidents. Inégale, l'inspiration pâtit du livret d'Édouard Blau, à qui on peut reprocher non pas tant son traitement extrêmement fantaisiste de la vie de Dante Alighieri qu'une intrigue à vrai dire bien mal ficelée. D'une invraisemblance confinant au ridicule, le deuxième acte s'avère le moins réussi, alors que la vision de l'Enfer et du Paradis (au troisième acte) constitue à n'en pas douter le sommet de l'opéra. Après ces pages passionnées et hautes en couleur, la mort de Béatrice au quatrième acte apparaît un peu convenue, quoique d'une émotion sincère.

Tout autant que dans Cinq-Mars de Gounod et Proserpine de Saint-Saëns, autres fleurons de la collection « Opéra français », le chef Ulf Schirmer et l'Orchestre de la Radio de Munich proposent une lecture exaltante, portée par un souffle dramatique qui ne se dément jamais. Avec le somptueux Chœur de la Radio bavaroise, réellement terrifiant dans l'Enfer, ils sont les triomphateurs de cet enregistrement. Du côté des solistes, Jean-François Lapointe se distingue par l'opulence de son chant, ses aigus glorieux et sa diction parfaite. Malgré son interprétation enflammée, le Dante d'Edgaras Montvidas suscite moins d'enthousiasme en raison de son timbre engorgé, d'un manque de souplesse et d'une maîtrise insuffisante du français. Artiste raffinée au style châtié, Véronique Gens est une Béatrice touchante, infiniment plus à l'aise, il faut toutefois en convenir, dans les passages en demi-teintes que dans les moments plus exposés. En Gemma, amie de Béatrice secrètement éprise de Dante, Rachel Frenkel fait entendre un beau timbre de mezzo, malheureusement un peu gâché par un style vieillot. Dans les rôles d'un Vieillard et de l'Ombre de Virgile, Andrew Foster-Williams mérite une mention spéciale pour la beauté de la voix et un admirable sens de la prosodie française. Au final, ce coffret nous fait souhaiter que la collaboration entre Ulf Schirmer et le Palazzetto Bru Zane se poursuive encore longtemps afin de mettre aussi bien en valeur d'autres ouvrages méconnus du répertoire français.

L.B.