Karine Deshayes (Malvina), Yann Beuron (Uthal), Jean-Sébastien Bou (Larmor), Sébastien Droy (Ullin), Philippe-Nicolas Martin (le Chef des bardes), Reinhoud Van Mechelen (le 1er Barde), Artavazd Sargsyan (le 2e Barde), Chœur de chambre de Namur, Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset (2015).

CD Ediciones Singulares / Palazzetto Bru Zane vol. 14. Distr. Outhere.

Longtemps la postérité n'a retenu de Méhul que son Joseph en Egypte et ses « Champs paternels », air chéri des ténors lyriques français du début du XXe siècle joliment revisité par Roberto Alagna en 2001. En 2012, le Palazzetto Bru Zane ressuscitait Adrien, opéra de 1791, archétype de l'opéra héroïque révolutionnaire. Uthal date de 1806 et laisse entendre une évolution certaine dans le style du compositeur. La filiation gluckiste reste certes bien présente mais elle est repensée dans une optique qui n'est pas sans évoquer le Berlioz des Troyens et qui, d'une certaine manière, regarde déjà vers le Romantisme. Le livret d'inspiration ossianique offre au compositeur l'occasion de créer un univers sonore original, où l'orchestre se révèle essentiel comme moteur du drame mais aussi dans la création du climat d'ensemble, ce qui se concrétise en premier lieu dans la substitution des violons au profit des altos. La volonté de pittoresque s'annonce dès la très belle ouverture qui enchaîne aux sombres accords de ses premières mesures une tempête sur la lande où erre Malvina, l'héroïne du drame, et se retrouve dans cette étonnante scène des Bardes qui tentent par leur chant de calmer ses inquiétudes pendant la bataille ; sur le fond de ce chant se construit la scène de transition qui conduit au dénouement. Le virtuose ensemble qui la précède superpose en trois groupes les quatre protagonistes, le petit chœur des Bardes et celui des guerriers de Larmor à un degré de complexité digne du Fidelio de Beethoven. Comme dans Adrien, le personnage féminin joue un rôle central et scelle par sa volonté de sacrifice la réconciliation entre son père et son époux.

Etonnante par son format - un acte unique d'à peine plus d'une heure -, l'œuvre pose un problème majeur, celui des dialogues parlés en alexandrins sur lesquels achoppent la plupart des interprètes de cette version. Plus encore qu'au concert, on oscille en permanence entre emphase et trivialité et, à quelques moments près, personne ne trouve vraiment le ton juste - moins que personne Karine Deshayes, par ailleurs remarquablement à l'aise dans la tessiture de Malvina. C'est d'autant plus regrettable que pour le reste, ils se révèlent tous singulièrement en phase avec leurs rôles vocaux et leur personnage, de Yann Beuron à qui la tessiture centrale du rôle-titre convient singulièrement à Jean-Sébastien Bou, impeccable d'autorité dans son rôle de père noble irrité, sans oublier le très délicat Chef des bardes de Philippe-Nicolas Martin. Belle contribution aussi des rôles mineurs, luxueusement distribués, et du Chœur de chambre de Namur parfaitement idiomatique. Christophe Rousset, à la tête de son ensemble des Talens lyriques à qui le répertoire néo-classique semble décidément particulièrement bien convenir, donne un relief singulier à une musique nerveuse et frémissante, caractérisées par de multiples « agitatos » et une tension jamais démentie. Cette nouvelle réalisation de la Fondation Bru Zane, dotée d'un excellent livret musicologique, apporte un élément supplémentaire bienvenu à notre connaissance du répertoire français du premier XIXe siècle.

A.C.