Tomas Jesatko (Wotan), Judith Nemeth (Brünnhilde), Jürgen Müller (Siegfried, Loge), Endrik Wottrich (Siegmund), Heike Wessels (Sieglinde), Manfred Hemm (Hunding), Edna Prochnik (Fricka, Erda-Siegfried, Waltraute), Simone Schröder (Erda-Rheingold, Flosshilde), Marie-Belle Sandis (Waltraute-Walküre), Karsten Mewes (Alberich), Uwe Heikötter (Mime), Andreas Hörl (Fafner), Sung Ha (Fasolt), Juhan Tralla (Froh), Christoph Stephinger (Hagen), Thomas Berau (Gunther, Donner), Iris Kupke (Freia), Cornelia Ptassek (Gutrune), Khatarina Göres (Wald Vögel, Woglinde), Anne-Theresa Møller (Wellgunde), Chœur et Orchestre du Théâtre National de Mannheim, dir. Dan Ettinger, mise en scène: Achim Freyer (Mannheim, 2013).
DVD ArtHaus Musik 107553. Distr. Harmonia Mundi.

Qu'est donc le Ring? Un monde, répond Achim Freyer - son monde, avant même celui de Wagner, monde qu'il appliquait déjà à sa fameuse Zauberflöte de Salzbourg. C'est bien ce qu'auront d'ailleurs souligné les spectateurs de la création de cette régie suractive, sulfureuse, à l'imagination débridée, donnée à l'Opéra de Los Angeles à l'automne 2009. Admiratif et perdu, je le suis comme eux après avoir patiemment visionné cette reprise allemande de l'incroyable odyssée dans l'imaginaire du disciple de Bertolt Brecht. Un plateau tournant, des Dieux prisonniers de leur destin, Siegfried en clown, toute la Tétralogie enfermée dans un improbable univers de cirque de fin du monde, les images, la direction d'acteur malgré les masques et les maquillages, la folie entêtée du propos finissent par donner le frisson. Y eu-t-il jamais un Ring aussi désespéré ? Et aussi iconoclaste. Le Tarnhelm est un chapeau melon ; Hagen, le maître d'une cérémonie de discothèque ; Siegfried, émule de Loge - Jürgen Müller chante crânement les deux rôles -, a pour cor un entonnoir mais Wotan conservera son corbeau et d'ailleurs tout un bestiaire accompagnera le Ring, alors qu'Alberich prendra les traits et les mimiques d'Hitler - Freyer réalisant ici la tentation de Wieland Wagner. La production foisonnante ne parvient pas toujours à masquer la mise en abyme du drame de Wagner et du drame de l'Allemagne hitlérienne : tout ce spectacle que doit être le Ring, auquel (en ses propres termes) Achim Freyer se conforme, ne l'empêche pas de proclamer sa vision politique - puis de l'abandonner en une seconde lorsque la poésie doit être tout : dans le décor, pour la forêt de Siegfried en vitraux façon Chagall, ou pour les passions - Siegfried et Brünnhilde sont désarmants de tendresse et de feux. On n'en finirait pas de détailler les diverses strates de lecture possibles, ni de traquer partout les doubles sens, les commentaires ironiques, les petits coups de théâtre impromptus et même les effets de costume (Loge a cinq bras ! Sieglinde et Siegmund, des têtes de chiens qui attestent leur différence avec le reste de l'humanité, amants incestueux) qui parsèment les actions parallèles ou sécantes par lesquelles Freyer met en lumière la profusion du récit wagnérien où la remémoration, la narration des faits passés, augmente l'espace-temps de la dramaturgie.

Et la musique ? Dan Ettinger dirige sur les pointes, son Wagner est lumineux comme du Weber, s'accordant aux voix de sa belle troupe qui, dans l'acoustique aisée du Nationaltheater de Mannheim, n'a jamais à forcer ses instruments. Tous sont de toute façon requis d'abord par les performances d'acteurs que Freyer exige. Cela fonctionne toujours et parfois transcende certains artistes. Inoubliable le Siegfried de Jürgen Müller, pour qui l'aura vu si concentré, si dense d'humanité (et en voix glorieuse) ; Wotan tout autant, qui en plus de l'acteur révèle un musicien consommé, dont les phrasés ne s'oublient plus. Mais tous méritent vos saluts, même Judith Nemeth qui n'arrive guère aux aigus de sa Brünnhilde, mais l'incarne, et comment !

J.-C.H.