Andrea Lauren Brown (Saffo), Jaewon Yun (Faone), Marcus Schäfer (Alceo), Marie Sande Papenmayer (Amfizione), Katharina Ruckgaber (Laodamia), Daniel Preis (Euricleo), Chœur du Bayerische Staatsoper, Chœur Simon Mayr, Concert de Bassus, dir. Franz Hauk (2014).

CD Naxos 8.660367-8. Distr. Outhere.

Créé en 1794 à la Fenice de Venise, Saffo ossia i riti d'Apollo Leucadio est le tout premier opéra de Giovanni Simone Mayr, alors âgé de 31 ans. Sous-titré dramma per musica, il nous renvoie au style de la tragédie réformée. Son livret, dont est absente toute forme d'action véritable, fait penser à une œuvre comme Paride e Elena de Gluck où ce sont essentiellement les états d'âme des protagonistes qui sont traités. Sografi, le librettiste, y exploite le mythe du rocher de Leucade d'où se jetaient les amants malheureux pour se guérir du mal d'amour et où la poétesse Sappho est censée s'être suicidée. Dans cette version, elle se rend auprès de la Pythie (Amfizione) pour y solliciter un augure sur son destin, accompagnée d'un de ses soupirants, le poète Alceo, et y croise Faone, l'amant qui la dédaigne, lui-même affligé et inconsolable de la mort de sa femme. Comme nous sommes dans l'univers de l'opéra seria, une intervention divine sauve de la mort et réunit les amants pour un lieto fine téléphoné. C'est donc du chassé-croisé des affects contradictoires de ces personnages que doit naître l'intérêt, et il faut avouer qu'il peine un peu à émerger, faute d'un véritable enjeu dramatique. Toutefois, formellement, l'œuvre ne manque pas d'intérêt car, si elle regarde encore beaucoup du côté du XVIIIe siècle avec de grands airs de bravoure - pour certains, du reste, fort beaux - et des récitatifs secs, sa plus grande originalité lui vient de longues séquences de récitatif accompagné très élaborées et richement orchestrées, et de quelques ensembles bien construits. Comme souvent chez Mayr, on reconnaît dans les tournures mélodiques l'influence des grands opéras de Mozart et, dans l'instrumentation, l'enseignement de l'école allemande.

Réalisée en studio, cette production bénéficie d'une distribution d'excellent niveau où l'on distinguera la voix particulièrement séduisante du Faone de Jaewon Yun, toute de fraîcheur et d'une grande délicatesse de phrasé. La Saffo d'Andrea Lauren Brown ne manque pas de moyens mais son articulation italienne, exotique et paresseuse, nuit un peu à la caractérisation du personnage. Quant à l'Alceo de Markus Schäfer, malgré un timbre assez ingrat, caractéristique des ténors d'opéra seria à l'allemande, il ne démérite pas sur le plan de la virtuosité face à des airs extrêmement exigeants. Excellents les petits rôles et plus qu'honnêtes les chœurs et l'orchestre sous la direction de Franz Hauk ; mais l'ensemble ne suffit pourtant pas à élever le niveau de cette réalisation au-dessus de la simple curiosité et ne séduira sûrement que les spécialistes de de répertoire.

A.C.