Manuel Nuñez Camelino (ténor), You-Jung Han (violon), Julien Abbes (basson), Mathieu Adam (trombone), Akino Kamiya (percussions), 2015.
Musicales Actes Sud. Distr. Actes Sud.

 

Le projet dont témoigne ce livre-disque n'aurait assurément jamais vu le jour sans l'initiative du Prix « Swiss Life à quatre mains ». Il est en effet peu probable qu'Arthur Lavandier, pourtant habitué - grâce à son compagnonnage avec l'ensemble Le Balcon, autour duquel gravitent également les instrumentistes ici réunis - à des projets peu normés, aurait spontanément cherché à s'associer au photographe Julien Taylor pour concevoir un spectacle musical. Le vocable « opéra de chambre » choisi par les deux protagonistes, suivant une tendance plutôt récente et assez largement répandue à nommer ainsi toute entreprise musicale dès lors que quelques voix et instruments sont rassemblés autour d'un argument scénique, ne correspond en fait qu'assez mal à cette réalisation. Très graphique, la mise en scène repose en grande partie sur un déploiement de photographies sous forme de rouleaux, comme en témoignent les vingt clichés qui constituent le cœur du livre, instaurant un jeu subtil entre réalité et virtualité. Le livret, quant à lui constitué à partir des mémoires de Sonia Kotkin, grand-mère du photographe, tient bien davantage du récit que de l'action dramatique.

La structure (en une introduction instrumentale et cinq tableaux - des duos voix/instrument, à l'exception du dernier en tutti - entre lesquels sont ménagés des interludes) donne une grande unité à l'ensemble. Alors que l'instrumentarium semble dès l'introduction une sorte de réduction de celui de L'Histoire du soldat de Stravisnky - dont l'influence s'étend à la structure narrative, et aussi à certaines couleurs harmoniques -, c'est plutôt aux Kafka Fragmente de Kurtág que l'on pense dans le premier tableau (« Grasuka »). Le violon, très finement nuancé et coloré par You-Jung Han, adopte là une écriture instrumentale très idiomatique et dialogue avec la voix de ténor de Manuel Nuñez Camelino dans un ensemble qui témoigne du goût du compositeur pour la consistance contrapuntique des lignes mélodiques. Le jeu théâtral, qui repose notamment sur quelques irruptions de la voix parlée travestie, est un peu plus développé au troisième tableau (« La Fraise des bois »), accompagné par un tambour de basque ; le bref passage en sprechgesang à deux voix qui conclut ce tableau, imparfaitement synchronisé, manque son effet.

Les deux autres tableaux en duo nous valent de très jolis alliages de teintes et de lignes entre la voix limpide de Manuel Nuñez Camelino et la grande élégance que confèrent Mathieu Adam et Julien Abbes à leurs parties respectives de trombone (tableau 4) et de basson (tableau 2). Si cette œuvre peut laisser perplexe quant à sa dimension opératique, son écoute au disque n'en aiguise en tout cas pas moins la curiosité d'éprouver en grandeur nature son rendu scénique assurément peu commun.

P.R.