© Christophe Pele/OnP

Nouvelle production parisienne de Nixon in China, dix ans après la production du Châtelet, l’opéra de John Adams entre à l’Opéra de Paris. Tout opéra à ce point situé dans un contexte historique (et ce d’autant plus s’il est récent) présente une difficulté de mise en scène supplémentaire : comment s’abstraire des images qu’évoquent immédiatement les noms de Nixon, Kissinger et Mao ? Valentina Carrasco propose une habile solution en n’évitant pas les références historiques, mais en les recomposant d’un geste post-moderne. Prenant pour point de départ la « diplomatie du ping-pong » qui ouvrit la voie à la visite de Nixon en Chine, la metteuse en scène structure une partie de son dispositif scénique avec des tables de ping-pong, utilisées comme telles ou encore comme éléments de décors reconfigurant l’espace. Carrasco ouvre l’opéra montrant « the people » à l’entraînement, la chorégraphie des balles s’accordant à merveille au minimalisme de la partition, puis elle invente ainsi une partie entre Mao et Kissinger – donnant au passage à voir la flagornerie du régime chinois dans le décompte des points. Le jeu – sportif, diplomatique, de pouvoir – comme élément structurant de la mise en scène. Ainsi, Pat Nixon semblera elle aussi un jouet de la propagande chinoise quand elle s’émerveillera de ce qu’elle découvre en Chine. Pour ne pas en rester à la surface d’un livret qui saisit des instantanés de vie – au risque d’une banalité et d’une platitude redondantes – Valentina Carrasco propose des contrepoints incendiaires, en montrant les ravages de la Révolution culturelle (autodafés en sous-sol), ou du napalme américain au Vietnam (projection). Malheureusement le troisième acte, d’un statisme soudain alors que les personnages se perdent dans leurs souvenirs, laissant voir une humanité perdue après avoir été montrés naïfs (Pat Nixon), autoritaires (Mao), stupides (Nixon), pervers (Kissinger), cruels (Madame Mao Tse-Tung). La scénographie faite de table de ping-pong renversée est pourtant poétique et suggestive mais rien n’en est fait. Dommage car le spectacle se tient bien sans sombrer dans la démonstration (qu’elle soit sur-signifiante ou outrageusement ascétique).
 
Gustavo Dudamel est à l’aise dans ce répertoire, où la partition est plus atmosphérique que discursive. Le son est généreux, le rythme précis et la pulsation entretenue avec conviction. Thomas Hampson (Nixon) bénéficie de la sonorisation des voix qui permet de révéler le fin chanteur qu’il est encore en dépit de moyens fantomatiques, Renée Fleming compose parfaitement une Pat Nixon candide, qui s’anime face à la dépravation de Kissinger, la rondeur du timbre s’accommodant à merveille avec le personnage. Le Mao de John Matthew Myers distribue bien ses aigus, mais manque d’épaisseur, contrairement à son premier ministre Chou En-Lai campé avec style par Xiaomeng Zhang. Enfin Kathleen Kim fait la démonstration de sa complète maîtrise de son instrument dans le rôle de Chiang-Ch’ing, épouse du dirigeant chinois.
 
Sans être passionné par ce répertoire, on peut saluer l’entrée très digne de l’opéra de John Adams à l’Opéra de Paris, admirablement servi par les forces de la maison qui ont, à cette occasion, étendu leur palette, ce qui ne manquera pas de bénéficier au cœur du répertoire.

Jules Cavalié


À lire : notre édition de Nixon in China/L'Avant-Scène Opéra n° 267
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