Étienne Dupuis (comte di Luna), Marie-Nicole Lemieux (Azucena) et Matthew Treviño (Ferrando). © Vivien Gaumand

De retour à l'Opéra de Montréal après dix ans, Le Trouvère est donné dans une nouvelle production à la scénographie extrêmement dépouillée de Jean Bard. À l'exception de rares éléments de décor comme les arcades du couvent ou la fenêtre grillagée de la cellule au dernier tableau, l'action se déroule sur un plateau nu très incliné où les personnages bougent très peu, n'interagissent pratiquement pas et semblent parfois même se réduire à de pures abstractions. L'approche du metteur en scène Michel-Maxime Legault rappelle d'ailleurs, dans une certaine mesure, celle de Bob Wilson, car ce sont d'abord certains tableaux savamment éclairés par Éric Champoux que l'on retient de son travail. Il suffit d'un fond de scène où apparaissent de sombres nuages menaçants, une immense lune angoissante, puis la sinistre tour où Manrico est emprisonné pour évoquer l'atmosphère oppressante du drame. Symbole récurrent, le cercle symbolise ici le bûcher dans lequel Azucena a autrefois fait périr par accident son enfant. On pense en particulier au disque rouge figurant les enclumes dans le camp des gitans et au cercle où s'effondre Manrico, enfin enlacé à Leonora pour l'éternité. Si cette vision finale frappe par sa force dramatique et sa beauté visuelle, on demeure plus dubitatif en ce qui a trait à une direction d'acteurs fort limitée et à un certain nombre d'étrangetés, voulant par exemple que de longues lances servent au duel du premier acte ou que Leonora ne sache qui choisir entre le comte et son amoureux lorsque ce dernier apparaît brusquement dans le grand finale du deuxième acte. Enfin, le chœur doit trop souvent se contenter de tourner en rond, de défiler en rang d'oignons ou de suggérer le mouvement du marteau sur l'enclume en élevant puis abaissant alternativement de grandes perches dans une gestuelle assez peu convaincante.

Laissés le plus souvent à eux-mêmes sur le plan scénique, les interprètes peuvent en revanche compter sur le soutien constant de Jacques Lacombe, qui dirige avec beaucoup de vigueur l'Orchestre Métropolitain. Toujours attentif à maintenir l'équilibre entre les différentes masses sonores, le chef offre un parfait confort aux chanteurs, qui n'ont jamais à forcer la voix. Cette qualité s'avère précieuse notamment pour la Leonora délicate de Nicole Car, qui cisèle avec une sensibilité infinie les mélodies envoûtantes de Verdi, mais dont le format vocal est un peu sous-dimensionné pour le rôle. Si l'on admire l'élégance souveraine du phrasé, il faut néanmoins reconnaître que la relative placidité du chant atténue quelque peu la passion du personnage. Le comte de Luna d'Étienne Dupuis n'appelle en revanche que des éloges grâce à la rondeur du timbre, son intelligence musicale et son incarnation saisissante du rival malheureux. Rarement a-t-on entendu un « Il balen del suo sorriso » aussi élégiaque et aussi naturellement amoureux. Pour sa part, Luc Robert prête sa voix claironnante au rôle-titre, qu'il défend avec vaillance. Nullement effrayé par les passages les plus exposés et l'héroïque « Di quella pira », il lui reste à perfectionner l'art de la demi-teinte et à acquérir une plus grande aisance scénique. Actrice née, Marie-Nicole Lemieux incarne quant à elle Azucena avec une intensité exceptionnelle. Sa puissance vocale, son grave abyssal et le soin qu'elle apporte aux indications de la partition font en sorte que l'on oublie quelques aigus difficiles et la disparité des sons entre les registres dans « Stride la vampa ». Au Ferrando à la voix rocailleuse de Matthew Treviño, on préfère les brèves interventions de la soprano Kirsten LeBlanc en Iñez et le touchant Ruiz du ténor Angelo Moretti. Le chœur, dynamique et bien nourri, participe à la qualité musicale d'un Trouvère aux mérites visuels plus incertains.

Louis Bilodeau

À lire : notre édition du Trouvère/Avant-Scène Opéra n° 60


Nicole Car (Leonora) et Luc Robert (Manrico). © Vivien Gaumand