Philippe Talbot (Dimitri), Gabrielle Philiponet (Marina), Jennifer Borghi (Vanda), Nora Gubisch (Marpha), Andrew Foster-Williams (Lusace), Nicolas Courjal (l'Archevêque), Julien Véronèse (le Prieur), Jean Teitjen (le Roi de Pologne), Flemish Radio Choir, Flanders Opera Children's Chorus, Brussels Philharmonic, dir. Hervé Niquet (2013).
CD Ediciones Singulares / Palazzetto Bru zane. Distr. Outhere.

Depuis sa mort, en 1903, Victorin Joncières n'est plus guère connu que des curieux qui, s'intéressant à Gounod, à Saint-Saëns ou à Massenet, cherchent ce que la critique en a dit. Car les feuilletons du compositeur de Dimitri (en charge de la rubrique musicale de La Liberté pendant une trentaine d'années) sont mieux étayés et plus informés que d'autres. Pour autant on se souciait peu de savoir à quoi ressemblaient les opéras de ce wagnérien déclaré.

Et voilà que, sans crier gare, le Palazzetto Bru Zane / Centre de musique romantique française secoue notre indifférence en publiant Dimitri à peine resserré et entouré de textes éclairants dans un joli livre-disque bleu pâle. Dès les premières mesures, on regrette les mois passés sans briser la cellophane car ce qu'annonce l'ouverture ne se dément pas jusqu'à la fin de l'ouvrage : des influences, certes (Weber, Gounod, Meyerbeer, Wagner), mais assimilées par un créateur parfaitement maître des secrets d'une instrumentation colorée et qui, sans rompre avec l'évidence du discours tonal, use d'emprunts imprévus et de cadences rompues pour éviter toute trivialité sans cesser d'être fluide. La mélodie coule à flots jusque dans les récitatifs, les motifs se gravent dans la mémoire et les formules convenues (comme les répétitions appuyées du dernier membre de phrase) restent des taches légères. On n'en dirait pas autant du Tribut de Zamora de Gounod ou d'Étienne Marcel de Saint-Saëns. Si un rapprochement s'impose, c'est avec Tchaïkovski, quand il détourne en douceur les ficelles du grand opéra.

L'action recoupe un peu celle de Boris Godounov puisqu'il s'agit du même Dimitri épris de Marina. S'y greffent les manœuvres de l'assassin de l'enfant d'Ivan Le Terrible, le comte de Lusace qui, pour se venger du mépris de Boris, a confié à un moine un garçon du même âge destiné, le moment venu, à renverser l'usurpateur en se prétendant l'héritier légitime du tsar. Enfin, la sœur de Lusace, Vanda, aime Dimitri sans retour tandis que Marpha (l'épouse d'Ivan) ignore si elle doit ou non reconnaître son fils... Il en résulte une succession bien agencée de chœurs de foule, chanson à boire, romances, airs à cabalette, duos, trios, prières, évocations, menaces. Et cela explique que Dimitri, créé avec succès au Théâtre-Lyrique en 1876 et repris à l'Opéra-Comique en 1890, puisse séduire à nouveau par son charme et son éloquence.

La qualité de cet enregistrement y contribue beaucoup et l'on se demande si la fête polonaise, par exemple, trouva en son temps un chef aussi ardent qu'Hervé Niquet, et le reste à l'avenant. Le Dimitri de Philippe Talbot touche juste jusque dans l'aveu de ses limites ; voix veloutée, Gabrielle Philiponet est la Marina de ses rêves face à la Vanda rude et pathétique de Jennifer Borghi. Nicolas Courjal, Julien Véronèse et Jean Teitjen possèdent l'autorité de leur rôle. Si Nora Gubisch semble fragilisée, cela correspond bien au personnage de la souveraine exilée tandis qu'Andrew Foster-Williams (Lusace) atteint les sommets d'une noirceur irrésistible. La diction est, en général, assez soignée et l'orchestre, bien capté, sonne à merveille.

G.C.