Olivier Gourdy (Boris), Julie Goussot (Axinia), Streten Manojlovic (Fedro), Yevhen Rakhmanin (Theodorus), Flore Van Meerssche (Irina), Alice Lackner (Olga), Eric Price (Josennah), Joan Folqué (Gavust), Theresia, dir. Andrea Marchiol.
CPO 555502-2 (2 CD). 2021. 2h29. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
 
Le nom de Johann Mattheson (1681-1764) est souvent cité au détour des biographies de son ami et rival Georg Friedrich Händel, auquel l’opposa un fameux duel à l’épée, en 1704. On le savait musicologue brillant, pédagogue, ténor (pour qui Händel écrivit le rôle de Fernando, dans Almira), claviériste et maître de chapelle des églises de Hambourg ; mais on croyait que la plupart de ses productions vocales (7 opéras et 25 oratorios) avait disparu durant la Seconde Guerre mondiale. Avec Cleopatra (1704), ce Boris de 1710 fait exception – bien qu’il n’ait jamais été représenté, pour d’obscures raisons diplomatiques, et qu’il ait été manifestement remanié en vue de cette résurrection (récitatifs raccourcis, rôle comique supprimé, sinfonie de Keiser ou Telemann ajoutées).
 
Tel qu’il nous parvient – enregistré dans la foulée de représentations au festival d’Innsbruck – il n’en est pas moins représentatif de l’opéra hambourgeois et de l’écriture fantasque de son auteur. Rappelons que le cosmopolite public d’Hambourg appréciait un art lyrique à son image : point trop noble et métissé, mêlant aussi bien les genres (tragique/comique) que les langues et les styles (allemand, français et italien).
 
Afin de mieux servir son auditoire (et sa propre gloire), Mattheson, qui se piquait de poésie, écrivit lui-même le livret de ce Boris – s’emberlificotant dans trop de personnages inutiles qu’il ne parvient jamais à faire vraiment exister. L’action se déroule avant celle que conteront Pouchkine et Moussorgski : alors que le tsar Theodorus agonise, son épouse, Irina et le frère de celle-ci, Boris, songent à la relève. Après avoir feint d’entrer au monastère, Boris s’empare du trône tandis qu’Irina épouse son amant Fedro. Deux princes étrangers (danois et suédois), respectivement épris de la princesse Olga et de la fille de Boris, Axinia, compliquent encore une intrigue réduite au rang de scénario.
 
La partition, on l’a dit, relève quant à elle du melting pot, réutilisant nombre d’airs italiens de diverses provenances (dont certains fort beaux : « Vorrei scordarmi », « Sei crudele ») et de danses à la française (dont deux jolies chaconnes). Ce qui relève de la plume de Mattheson n’est pas moins remarquable, mélodieux, riche en intervalles et jeux de rythmes piquants, en formules savantes (concerto grosso, ostinato) ou populaires. Si les airs n’ont pas la sophistication de ceux de Händel, on goûte particulièrement les ensembles : duos, trios et un merveilleux canon pour quatre voix a cappella au début de l’acte II.
 
Le tout est enlevé avec ferveur et humour par un fougueux ensemble de quinze musiciens (hautbois et flûtes étant joués par les mêmes interprètes) qui, grâce à une prise de son flatteuse, paraît plus important. L’équipe vocale n’est hélas pas de la même eau, basse flageolante (Rakhmanin), ténors éraillés (Price, Folqué) et soprano acide (Van Meerssche) nous arrachant bien des grimaces... Si la mezzo Lackner et le baryton-basse Gourdy se situent un cran au-dessus, ils se montrent encore scolaires ; les meilleurs moments nous sont donc offerts par la soprano grave Julie Goussot et, surtout, le baryton-basse Streten Manojlovic, timbre mordant alla Tom Krause, dont l’aigu cherche encore son assise.

Une lecture perfectible mais intéressante, qui vient prendre place aux côtés des incontournables sonates enregistrées par Valetti et Baroni (Der Brauchhare Virtuoso, Alpha, 2002).
 

Olivier Rouvière