Lise Davidsen (Leonore), David Butt Philip (Florestan), Georg Zeppenfeld (Rocco), Simon Neal (Don Pizarro), Amanda Forsythe (Marzelline), Robin Tritschler (Jaquino), Egils Silinš (Don Fernando). Orchestre et chœur du Royal Opera House, dir. Antonio Pappano, mise en scène, Tobias Kratzer.
Enregistrement live, 13 mars 2020, Covent Garden.
Opus Arte OA1334D (1 DVD). 2020. Synopsis en anglais. Sous-titres français. Distr. DistrArt Musique.
 
Enregistré juste avant le grand confinement de 2020, ce Fidelio marque les débuts à Covent Garden de Tobias Kratzer, qui offre une lecture à la fois passionnante et irritante du chef-d'œuvre de Beethoven. En déplaçant l'intrigue en France au moment de la Terreur, il remonte en quelque sorte aux origines du livret, inspiré de la Leonore (1798) de Bouilly et Gaveaux, et met en avant l'extrême violence du peuple. À l'instar de nombreux metteurs en scène, il modifie les dialogues du Singspiel : il les abrège et ajoute des extraits de Büchner et de Grillparzer qui s'insèrent fort bien à la trame. On pense en particulier à la touchante berceuse tirée de La Mort de Danton de Büchner que Léonore chantonne avec une douceur infinie à son époux avant le trio « Euch werde Lohn ». Kratzer confère aussi une importance cruciale à Marzelline, qui, après avoir découvert le sexe véritable de Fidelio dès le premier acte (pendant « Abscheulicher ! »), décide de prêter secours à celle qui l'a trompée pour une juste cause. En plus de sonner la trompette salvatrice, elle défend Léonore et son mari en blessant Pizarro avec un fusil. Cohérents et réalisés avec un admirable sens du détail, ces changements soulèvent l'enthousiasme. En revanche, l'approche brechtienne du second acte appelle de sérieuses réserves : sur un plateau éclairé d'une lumière crue, le petit tertre faisant office de cachot est entouré de spectateurs vêtus à la mode contemporaine dont les visages sont filmés et projetés sur un immense écran. S'ils semblent compatir au malheur de Florestan, ces témoins lui refusent tout secours et ne se mêlent à l'action qu'avec l'arrivée de Don Fernando. Le caractère allégorique de l'action peut certes se prêter à une relecture symbolique, mais l'hiatus est ici trop accentué entre le réalisme quasi maniaque du premier acte et la distanciation déconcertante du second.
 
Chef amoureux des voix, Pappano accompagne ses solistes avec une attention de tous les instants, mais ne se hisse pas au rang des grands beethovéniens. Pauvre en relief et manquant de contrastes, sa direction ne s'enflamme que par intermittence, comme dans les dernières mesures de l'ouverture et lors de l'exultation finale, où le chœur révèle une belle ardeur. On aimerait aussi une atmosphère plus méditative dans le quatuor en canon et le chœur des prisonniers. La distribution est dominée par Lise Davidsen, dont la Léonore appartient d'ores et déjà à l'Histoire. Projetée avec une rare insolence, la voix allie puissance, souplesse et expressivité, qualités qui font notamment merveille dans un « Abscheulicher ! » à couper le souffle par sa perfection sidérante et son intensité dramatique. Comédienne de talent, elle endosse avec naturel le costume masculin tout en traduisant avec éloquence son amour conjugal. Remplaçant Jonas Kaufmann (souffrant), David Butt Philip fait forte impression en Florestan au timbre séduisant, doté d'une grande vaillance, d'une excellente technique et d'un phrasé toujours élégant. L'autre triomphateur de la soirée est Georg Zeppenfeld, dont le Rocco d'une distinction quasi aristocratique possède des moyens vocaux opulents qui surpassent de loin ceux de Simon Neal, dont le Pizarro souffre d'une émission inégale et d'aigus d'une justesse approximative. Faisant preuve ici d'une force de caractère inhabituelle, Marzelline trouve en Amanda Forsythe une interprète à la voix délicate, qui ne saurait se contenter du Jaquino querelleur chanté avec goût par Robin Tritschler. Le Fernando racé d'Egils Silinš complète la distribution de ce Fidelio aux évidents mérites vocaux.
 

Louis Bilodeau