Ana Quintans (Coronis), Isabelle Druet (Triton), Cyril Auvity (Protée), Marielou Jacquard (Apollon), Caroline Meng (Neptune), Anthea Pichanick (Ménandre), Victoire Bunel (Sirène), Brenda Poupard (Iris), Le Poème harmonique, dir. Vincent Dumestre.
Alpha 788 (2 CD). 1h40. 2021. Notice en français. Distr. Outhere.

Récemment attribuée à Sebastián Durón (1660-1716), Coronis compte parmi les premières zarzuelas mythologiques à nous être intégralement parvenues (les partitions de Filippo Piccinini et de Juan Hidalgo ayant en partie disparu). Œuvre de plus larges dimensions que La Guerra de los gigantes (1702) du même Durón, elle a pour particularité d’être entièrement chantée, alors que les pièces plus tardives confieront l’essentiel de l’action à des dialogues déclamés. Son prétexte - l’anniversaire de Philippe V d’Espagne, en 1705 - se reflète dans son climat musical comme dans son livret. Celui-ci conte la lutte opposant Apollon et Neptune, qui aspirent tous deux à régner sur la Thrace, ainsi que sur le cœur de Coronis - une jeune prêtresse que le monstre marin Triton poursuit en outre de ses assiduités. Cette double intrigue, mythique et érotique, fait écho à la situation politique de la couronne espagnole (Coronis), convoitée à la fois par l’Empire, allié à l’Angleterre, maîtresse des mers (Neptune) et par la France du Roi-Soleil (Apollon). Le triomphe d’Apollon, qui abat Triton (la flotte anglaise), symbolise dès lors celui du parti de Louis XIV, grand-père de Philippe V, né duc d’Anjou. Divisée en deux « journées », la partition de Durón manifeste une nette influence française (récit d’entrée de Coronis), cohabitant avec des scènes populaires et syncopées parfaitement ibères et de splendides lamenti d’ascendance italienne (« Dioses, piedad » de Coronis, « Llore de Tracia » de Proteo). Selon la tradition espagnole, qui jugeait le chant indigne des hommes, tous les rôles sont campés par des cantatrices, à l’exception de celui du vieux devin Protée, confié à un ténor. L’interprétation de Dumestre a été conçue pour accompagner un attachant spectacle d’Omar Porras, créé au Théâtre de Caen et récemment repris à l’Opéra Comique. En témoignent le naturel des enchainements, la vivacité des rythmes et des tempi, la sensualité et l’ample respiration des lignes, divinement déployées dans les « ouvertures » de chacune des journées. Les goûteux coloris du Poème harmonique mettent en valeur une instrumentation bigarrée, où cordes éperdues (la mort de Triton, digne de Purcell) côtoient hautbois nasillards (accompagnant les joutes des dieux), flûtes funèbres (pour les prémonitions de Protée), harpe et percussions rustiques. Les timbres des nombreuses sopranos et mezzos apparaissent aussi suffisamment divers pour qu’on ne les confonde pas : la voix coupante, à l’élocution exceptionnelle, de Druet donne vie à un Triton aussi bouleversant que féroce, tandis que celle, virginale, aux délicates diminutions, de Quintans convient à Coronis. Neptune percutant, au grain serré, de Meng, Ménandre balourd à souhait (au bégaiement assez forcé) de Pichanick, Protée rempli d’émotion comme d’autorité d’Auvity (aux prises avec une tessiture un peu grave), Iris radieuse de Poupard… - seul l’Apollon au soutien et à la diction flageolants nous déçoit. Un répertoire rare, ressuscité dans les meilleures conditions.

Olivier Rouvière