Sabine Devieilhe (Céphise), Cyrille Dubois (Achante), David Witczak (Oroès), Judith van Wanroij (Zirphile), Jehanne Amzal (la Grande Prêtresse), Les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles, Les Ambassadeurs, La Grande Ecurie, dir. Alexis Kossenko.

Erato (2 CD). 2020. 2h10. Notice en français. Distr. Warner. 

Composée en 1751 pour fêter la naissance du premier héritier présomptif de Louis XV, Louis de France (qui décédera à neuf ans), la pastorale héroïque en trois actes Achante et Céphise était le tout dernier ouvrage ramiste de grandes dimensions à n’avoir pas été enregistré (même si Franz Brüggen en gravait une belle Suite d’orchestre en 1997). Voici l’omission splendidement réparée ! Non que ce coffret nous fasse découvrir un chef-d’œuvre dramatique : l’argument du livret de Marmontel tiendrait sur un timbre-poste (Achante et Céphise s’aiment, au grand dam du génie Oroès, contre lequel les protège la fée Zirphile) et ne sert guère de prétexte qu’à une foule de divertissements (deux pour chacun des trois actes !), ponctués d’ariettes immortelles chantant « le papillon volage et le lion rugissant ». L’action n’avance pas, les personnages sont inexistants et il n’est pas jusqu’à la veine mélodique de Rameau qui ne se fige par instant sous l’apparat orchestral. Mais quel apparat ! Dès la fantastique ouverture peignant « les vœux de la nation, le tocsin, le feu d’artifice », nous voici plongés dans un maelstrom de sonorités inouïes, de rythmes, de couleurs et d’alliages. Outre les exploits qu’il exige de ses instruments (par exemple, les cors alliés aux clarinettes dans le divertissement des chasseurs), Rameau imagine une forme particulière pour ses dialogues : Achante et Céphise chantent presque toujours ensemble au fil de récitatifs-ariosos très libres et d’une réelle modernité, se changeant parfois en ensembles plus importants. L'incroyable Plainte qui termine l'Acte II, avec ses motifs épars, annonce le dernier acte des Boréades, de même que les duos des Coryphées préfigurent ceux de Calisis et Borilée (sans doute écrits pour les mêmes chanteurs) tandis que les nombreuses pantomimes anticipent sur Les Paladins. Les quelques soixante musiciens de Kossenko, répartis selon une configuration d'époque, font rugir, tonner, vibrer cette partition étonnante, dont ils flattent la volcanique sensualité (ravissants menuets et gavottes de l'Acte II). Exclue des danses selon une pratique désormais avérée, la basse continue richement dotée en basses (un clavecin, trois violoncelles et une contrebasse) confère une incroyable théâtralité aux récits, dont elle souligne avec ironie les revirements (la soudaine fureur d'Oroès). La distribution vocale est superbe : Céphise ailée et mutine, au timbre un peu sec, parfois, Achante lumineux, tendre et élégant, Zirphile maternelle et tranchante à la fois. Mais c'est peut-être le moins connu David Witczak qui nous séduit le plus, baryton mordant dont l'élocution merveilleusement colorée n'usurpe jamais la place du chant. Le chœur et les petits rôles se montrent presque tous aussi convaincants (charmante Fée de Marine Lafdal-Franc), même si le rôle très tendu du premier Coryphée arrache parfois à Artavazd Sargsyan des sonorités acides. Ajoutons une prise de son spectaculaire et une notice (Benoît Dratwicki/Sylvie Bouissou) passionnante : tous les ingrédients d'une incontestable Révérence se voient ici réunis !

Olivier Rouvière