Aida Garifullina (Snégourotchka), Yuriy Mynenko (Lél), Martina Serafin (Koupava), Maxim Paster (le tsar Bérendeï), Thomas Johannes Mayer (Mizguir), Elena Manistina (Dame Printemps), Vladimir Ognovenko (Père Frimas), Franz Hawlata (Bermiata), Vasily Gorshkov (Bobyl Bakoula), Carole Wilson (Bobylikha), Vasily Efimov (l'Esprit des bois), Julien Joguet (Maslenitsa). Orchestre et chœur de l'Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine, chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris, dir. Mikhail Tatarnikov. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov (Opéra Bastille, avril 2017).
Bel Air Classiques BAC486 (Blu-ray). Résumé et sous-titres en français. Distr. Outhere.

À l'exception de versions de concert de Kitège (1926) et de Sadko (1927), l'Opéra de Paris n'avait monté qu'un seul ouvrage lyrique de Rimski-Korsakov, Le Coq d'or, d'abord donné par les Ballets russes en 1914, puis par la troupe de Garnier en 1927. Les attentes étaient donc grandes pour cette Snégourotchka que l'on a pu voir à Bastille en avril 2017 dans les décors et la mise en scène de Dmitri Tcherniakov. Foisonnant d'idées et atteignant parfois au pur enchantement, son travail suscite néanmoins certaines réserves qui font en sorte que ce spectacle marquant ne se hisse pas tout à fait au rang de ses réalisations les plus achevées. Car Tcherniakov propose une vision d'une cohérence discutable, qui transpose l'œuvre dans un réalisme contemporain, pour s'acheminer progressivement vers une dimension purement légendaire. Très réussie, la première partie du prologue se déroule ainsi dans une salle de répétition de danse avec barres, où la très élégante maîtresse de ballet Dame Printemps fait répéter aux enfant une chorégraphie fêtant l'arrivée de la belle saison. Face à cette manifestation colorée et pleine de joie de vivre, le Père Frimas apparaît bien sévère et accablé de soucis dans son imperméable d'homme d'affaires. Grâce à un changement de décor quasi instantané, leur fille Snégourotchka se retrouve chez les Bérendeïs, qui, dans la vision de Tcherniakov, se réunissent pour faire revivre les coutumes de leurs lointains ancêtres slaves. Portant vêtements contemporains et costumes traditionnels, ils vivent dans des maisons mobiles d'un effet à vrai dire bien peu séduisant et qui, fort curieusement, restent présentes sur scène lorsque l'action est censée se déplacer (au deuxième acte) au palais du tsar. Ces gîtes de fortune disparaissent aux deux derniers actes, de même que la quasi-totalité des vêtements modernes. On est à la fois dubitatif devant le changement de perspective et émerveillé par un quatrième acte absolument féerique qui voit les arbres s'animer dans l'aube naissante, puis entamer une espèce de valse ensorcelante, alors que Dame Printemps vient accorder à sa fille le don de l'amour en un moment d'intense poésie. Après la mort de Snégourotchka et de Mizguir, l'œuvre s'achève par une scène de liesse qui permet à Tcherniakov de montrer une nouvelle fois sa maestria dans l'art d'animer les foules. Comment oublier la vision finale de la roue enflammée symbolisant le tout-puissant Iarilo, le dieu solaire ?

Sur le plan musical, il faut en un premier temps saluer la magnifique interprétation de l'orchestre de l'Opéra qui fait ressortir avec gourmandise la prodigieuse palettes de couleurs de Rimski-Korsakov sans que jamais l'intérêt ne fléchisse au cours des trois heures et quart de la représentation. En plus de nous plonger avec délice dans l'atmosphère panthéiste si chère au compositeur grâce à des bois superlatifs, des cors extatiques et des cordes splendides, Mikhail Tatarnikov excelle aussi bien dans les scènes d'intimité que les grands ensembles dont Rimski-Korsakov se montre prodigue. À cet égard, le chœur est extraordinaire de beauté, d'énergie et de ferveur. Dans l'adorable Chant et Danse des oiseaux du prologue, le chœur d'enfants de l'Opéra de Paris et la Maîtrise des Hauts-de-Seine ne méritent que des éloges.

Aida Garifullina confirme au DVD l'impression très forte qu'elle avait laissée en salle dans le rôle-titre. Elle possède absolument tout : la suavité de la voix, les aigus lumineux bien projetés, l'émotion à fleur de peau, le jeu toujours juste... et la jeunesse. Le pâtre qui lui fait découvrir la passion est ici non pas une mezzo-soprano comme l'a voulu Rimski-Korsakov, mais le contre-ténor Yuriy Mynenko, métamorphosé en une sorte de hippie imbu de sa personne. Prisant les voix masculines haut perchées, le musicien aurait sans doute apprécié ce choix, d'autant plus que, mis à part quelques aigus tendus, Mynenko chante à ravir les trois chansons du barde. Thomas Johannes Mayer est tout aussi convaincant en Mizguir au chant viril à souhait, tandis que Martina Serafin incarne une Koupava véhémente, aussi bien dans l'expression de son bonheur que de sa souffrance. Le tsar Bérendeï de Maxim Paster, qui assiste avec une relative indifférence au drame de Snégourotchka, fait entendre une solide voix de ténor, mais sa cavatine est loin de parvenir à l'état d'apesanteur du sublime Sergueï Lemechev dans la version de Kondrachine. Vassili Gorshkov et Carole Wilson forment un couple d'une drôlerie impayable en parents adoptifs de Snégourotchka. Si Vladimir Ognovenko sonne un peu fatigué, son Père Frimas pourrait émouvoir un cœur de pierre. La Dame Printemps d'Elena Manistina compense quelques imperfections vocales et un vibrato plutôt gênant par son intelligence musicale et son port de reine. En Bermiata et Esprit des bois, Franz Hawlata et Julien Joguet complètent brillamment une distribution qui remporte presque tous les suffrages et ajoute à l'intérêt d'une production faisant date dans l'histoire récente de l'Opéra de Paris.                                             

 

Louis Bilodeau