Emiliano Gonzalez Toro (Orfeo), Emöke Baráth (Euridice, Musica), Natalie Pérez (Messaggiera), Alix Le Saux (Speranza), Jérôme Varnier (Caronte), Mathilde Étienne (Proserpina), Nicolas Brooymans (Plutone), Fulvio Bettini (Apollo), Zachary Wilder (Premier Berger), Juan Sancho (Second Berger), Alicia Amo (Ninfa), Ensemble vocal de poche, I Gemelli, dir. Emiliano Gonzalez Toro (2020).
Naïve V 7176 (2 CD). 1h37’. Notice en français. Distr. Sequenza Com-Prod.

Se mesurer à Corboz, Jürgens, Harnoncourt, Gardiner, Parrott, Savall, Medlam, Garrido, Jacobs, Alessandrini (pour ne citer que les chefs qui ont marqué Orfeo de leur empreinte), n'est-ce pas présomptueux ? Pourquoi et comment ? Les intéressantes notices, signées Mathilde Étienne (Proserpine par ailleurs nasillarde) et Emiliano Gonzalez Toro, nous éclairent du moins sur le « comment », avec des prises de position nettes : cet Orfeo sera collégial, se passera de « direction centrale » ; « l'orchestre sera soumis au moteur de l'élocution et traité comme une extension du chanteur », mais on veillera à éviter le rubato et à respecter un tactus constant (au moins dans l'air « Possente spirto ») ; les ensembles vocaux feront alterner plein effectif (onze solistes et huit ripiénistes) et passages chantés à « un par partie ». Si cette dernière option apparaît couronnée de succès (merveilleux duos des Bergers et des Esprits infernaux par les ténors Wilder et Sancho), les deux premières posent davantage problème : non qu'elles ne soient défendables – mais ont-elles été bien comprises ? Car, la plupart du temps, cette lecture très soignée nous semble trop « musicale », justement, et pas assez rhétorique ni dramatique. Cela est surtout sensible dans les récits, à l'élan étouffé sous un continuo profus « alla Garrido » et à la rythmique peu naturelle : celui de l'Espérance (bien pâle) est le moins réussi, celui du quatrième Berger, à la fin de l'acte I, exagérément surveillé, celui de la Messagère ne se libère qu'à la fin.

Les messieurs, souvent plus sobrement accompagnés que les dames, triomphent plus aisément de ce corset : quelle liberté, enfin, dans les premiers mots d'Apollon (seul Italien de la distribution), quelle autorité, chez Charon et Pluton – mais quelle sensualité et quel sens du mot aussi, chez l'Eurydice de Baráth ! Côté instruments, même inégalité : les cordes (violes, violons) s'avèrent beaucoup plus expressives que les vents (des cornets fades, des saqueboutes peu terrifiantes). Et Orphée ? Avec sa voix ouatée et suave, son grave chaud et sa technique aisée, Gonzalez Toro réussit un touchant « Rosa del ciel » et une exemplaire sortie des enfers ; « Possente spirto », magnifiquement attaqué à la façon d'une mélopée minimaliste, peine cependant à s'enflammer, et « Tu se' morta » déçoit par sa neutralité (sans doute voulue). On sent, au long de cette lecture, la volonté d'éviter les effets faciles, les contrastes vulgaires tout autant que l'austérité et le didactisme – mais il faut admettre que l'absence de chef paraît engendrer davantage de correction que d'ivresse.

 

Olivier Rouvière